Malgré une précision législative par le biais d’ajout de deux alinéas à l’article 222-32 du code pénal, ainsi qu’un principe bien établi par la constitution et autres textes de source internationale, il semble toujours se poser un principe selon lequel un texte légal, ici pénal s’appliquerait aux unes et non aux autres.
C’est ce qui ressort d’un refus par la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 16 février 2022 de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Il convient tout d’abord de rappeler ce qu’est une question prioritaire de constitutionnalité (dite QPC).
Depuis la révision constitutionnelle du 21 juillet 2008, il est possible à une partie à un procès de saisir le Conseil constitutionnel au titre du nouvel article 61-1 de la constitution :
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »
Cela s’appelle la question prioritaire de constitutionnalité.
La procédure en est décrite dans les articles 23-1 et suivants du Conseil constitutionnel.
Par exemple dans une procédure correctionnelle, il est possible pour le prévenu de poser une telle question au Tribunal, après en avoir informé le Ministère public. Le Tribunal décide de transmettre cette question à la Cour de cassation notamment si la question présente un caractère sérieux. Elle est transmise dans les huit jours à compter de son prononcé. Cette décision du Tribunal n’est susceptible d’aucun recours.
La Cour de cassation rend alors un arrêt dans les trois mois de la transmission de ladite question, où elle doit décider de renvoyer ou non cette question au Conseil constitutionnel, qui devra alors, s’il est décidé le renvoi, se prononcer sur la constitutionnalité du texte de loi mis en cause.
C’est ce qu’il s’était passé quand la même juridiction avait refusé de transmettre une question au conseil constitutionnel dans un arrêt en date du 9 avril 2014 s’agissant de savoir si l’article 222-32 était rédigé en termes suffisamment clairs et précis.
Il avait été répondu que c’était le cas et que ladite question ne présentait pas un caractère sérieux (ce qui est à notre sens éminemment contestable).
Dans l’espèce de l’arrêt en date du 16 février 2022, trois femmes avaient été condamnées par une cour d’appel :
- Pour exhibition sexuelle uniquement s’agissant de deux d’entre elles, à un mois d’emprisonnement avec sursis,
- Pour exhibition sexuelle, faux et usage de faux pour la troisième, à deux mois d’emprisonnement avec sursis.
La question prioritaire de constitutionnalité ou QPC portait sur l’atteinte portée par l’article 222-32 :
- Aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 34 de la Constitution ainsi qu'aux principes de légalité de la loi, de clarté de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique en ce qu'elles ne définissent pas de façon claire et précise les éléments constitutifs de l'infraction, notamment la notion d'« exhibition sexuelle »
- au principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 en ce qu'elles permettent la répression pénale de la simple nudité des torses féminins dans tout lieu accessible aux regards du public ?
- au principe d'égalité qui découle des articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du principe d'égalité homme femme, consacré par le troisième alinéa du préambule de la Constitution du 4 octobre 1946 (repris dans la constitution en vigueur du 4 octobre 1958) et du principe de non-discrimination, en ce qu'elles incriminent la nudité des torses féminins, mais pas celle des torses masculins ? » ;
La question apparaissait totalement fondée sur le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
De plus, s’agissant du nouvel article 222-32, depuis une loi en date du 21 avril 2022, ont été ajouté deux alinéas. Le deuxième est rédigé comme suit :
« Même en l'absence d'exposition d'une partie dénudée du corps, l'exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d'autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d'un acte sexuel, réel ou simulé. ».
Ici, c’est probablement le cas en raison de la modicité des peines prononcées.
Enfin, ce principe a trouvé une application dans l’état de New-York aux USA ceci en vertu d’une décision de justice du… 7 juillet 1992, de la City Court de la ville de Rochester.
Étaient poursuivies Ramona Santorelli, Mary-Lou Schloss et cinq autres femmes pour avoir pique-niqué sans le haut.
Le fondement légal était l’article 245.01 du Code pénal de l’État intitulé « The exposure of a Person" qui dispose notamment que :
"A person is guilty of exposure if he appears in a public place in such a manner that the private or intimate parts of his body are unclothed or exposed. For purposes of this section, the private parts or intimate parts of a female person shall include that portion of the breast which is below the areola. This section shall not apply to breast feeding of infants or to any person entertaining or performing in a play, exhibition, show or entertainment."
Est réprimé le fait d’apparaitre en public de telle façon, qu’une partie intime du corps soit découvert ou exposé. Est ainsi donnée une précision anatomique : pour une femme, sera considérée comme partie intime la zone du sein au-delà de l’aréole. Les performances artistiques et l’allaitement étaient exclues de la loi.
La juridiction les a déclarées non coupables en raison du principe non-discrimination entre hommes et femmes
Selon elle le texte légal qui fondait les poursuites est discriminatoire à l’encontre des femmes et qu’il ne sert aucun intérêt gouvernemental important (« serves no important governement interest »).
Elle notait également que cette législation avait été adoptée à l’origine afin de décourager le développement du métier de « serveuse seins nus ». Par conséquent la loi s’appliquait encore dans un « contexte commercial ».
C’est donc l’interdiction de discrimination hommes-femmes qui a joué en l’espèce.
La réponse de la chambre criminelle apparaît relever selon nous de l’absurdité juridique et morale.
Après avoir rappelé que, selon elle, les termes de l’article sont suffisamment clairs et précis, elle pose, avec le plus grand sérieux, le principe suivant :
« 7. En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, et l'article 222-32 du code pénal s'applique à la fois aux hommes et aux femmes, même si leurs différences anatomiques et les représentations qui y sont associées conduisent à donner un contenu différent à la notion d'exhibition. »
Donc un torse féminin visible peut être répréhensible pénalement, ce qui n’est pas le cas d’un torse masculin tout aussi visible pour des raisons de différences anatomiques et de représentations.
L’affirmation de ce principe est pour le moins malheureuse, entérine un certain machisme ambiant conférant au corps de la femme un caractère sexuel que ne renieront pas les intégristes religieux.
Sans compter les difficultés d’applications à des cas particuliers, comme des identités de genre non définies.
Le principe ainsi affirmé apparaît stupéfiant et malheureux.
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