Verbalisé pour avoir distribué des prospectus torse nu
- naturismedroit
- il y a 2 jours
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Les faits se déroulent à Avignon pendant le festival de 2023. Il a fallu lire deux fois l’article paru sur le site d’ « Ici » (anciennement France Bleu) pour réaliser qu’il ne s’agissait pas d’un canular. De toute façon la parution date du 13 mars 2025 et non du 1er avril…
Hubert Mercier, avignonnais et par ailleurs naturiste, distribue des tracts pour le spectacle de la danseuse Shakti, lors duquel elle est nue.
Hubert Mercier prend la décision d’effectuer ladite distribution torse nu, afin de se rapprocher de l’esprit du spectacle, ceci durant cinq jours.
Il est verbalisé deux fois, pour manquement à un arrêté municipal en date du 26 mai 2023.
Le 21 novembre 2023 est émis un relevé de condamnation pénale le condamnant au paiement d’une amende de 150 euros par infraction relevée ainsi qu’au paiement de 31 euros de droit fixe de procédure (somme forfaitaire que doit acquitter toute personne condamnée).
Hubert intente un recours à l’encontre de cette condamnation devant le tribunal de police d’Avignon.
L’audience a lieu le 5 mars 2025.
La condamnation est ramenée à une amende de 150 euros pour les deux infractions, ainsi qu’à deux droits fixes de procédure (alors qu’il n’y en avait qu’un dans le relevé de condamnation…).
Cette affaire qui laisse pantois quant à sa futilité ne se réfère pas à l’infraction d’exhibition sexuelle, (encore heureux !!), tout le monde s’accordant à dire qu’un torse nu, concrètement masculin, n’étant pas illégal, mais au manquement à un arrêté municipal prévu et réprimé par l’article R 610-5 du code pénal qui dispose que :
« La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 2e classe. »
Cet article a connu un changement par décret en date du 15 février 2022. Auparavant, la sanction était au maximum l’amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe, soit 38 euros.
Il convient donc de se référer à l’arrêté du maire d’Avignon en date du 26 mai 2023. Et l’on n’est pas déçu à sa lecture. En effet :
- Il rappelle au préalable, la fréquentation intense de la ville surtout durant le festival,
- Puis la nécessité d’assurer la sécurité des voies publiques
- De règlementer l’usage des voies publiques
- De préserver la sécurité et la tranquillité des commerçants et des riverains.
- Le risque lié à la consommation excessive d’alcool et des chiens non tenus en laisse
- Les incidents de voie publique
- Et enfin « que l'exhibition d'un torse nu, le port d'un vêtement de bain en dehors des espaces autorisés et de baignade, et toute tenue incompatible avec la décence sont de nature à porter atteinte à la décence vestimentaire, au bon ordre public, aux règles d'hygiène et de salubrité publique, et à la tranquillité publique ».
C’est la motivation habituelle. Toutefois il est permis de se poser la question de la relation de cause à effet. En quoi le torse nu, le port d’un vêtement de bain et toute tenue incompatible avec la décence (au fait qu’est-ce que ça veut dire ?) sont de nature à porter atteinte à la décence vestimentaire (et qu’est-ce que la décence vestimentaire ?), au bon ordre public (rien que ça !!!) aux règles d’hygiène et de salubrité publique (ah bon ? Un vêtement est forcément hygiénique et salubre…) et à la tranquillité publique (de même tout le monde sait que l’habit est forcément synonyme de paix et de tranquillité…).
C’est le type d’arrêté contre lequel un recours peut être intenté devant le tribunal administratif au titre de « l’erreur manifeste d’appréciation ».
La notion d’erreur manifeste d’appréciation constitue un motif fréquent d’annulation d’un acte administratif, tel un arrêté municipal.
Elle consiste notamment en une absence justement de relation de cause à effet entre les faits allégués et la mesure prise pour y remédier, ou une disproportion excessive entre ceux-ci.
Or, la jurisprudence des tribunaux administratifs va dans le sens de l’illégalité des arrêtés interdisant le torse nu et les tenues de bains. Et donc à leur annulation s’ils font l’objet d’un recours en ce sens.
Ainsi le tribunal administratif de Montpellier a-t’il annulé le 18 décembre 2007 un arrêté du maire de la commune de la Grande motte interdisant en dehors des plages et de la promenade de la mer le fait « de se trouver sur la voie publique en étant seulement vêtu d’une tenue de bain, le torse nu ».
Intéressant est un arrêt de la plus haute juridiction administrative, savoir le Conseil d’état, en date du 8 décembre 1997 « Commune d’Arcueil », ne concernant pas le torse nu mais les affichages de messageries roses de l’époque. Il s’agit donc ici aussi d’une interdiction prise en application des pouvoirs de police du maire. Voici l’attendu de principe reproduit ci-dessous :
« Considérant que, par arrêté du 14 mai 1990, le maire d'Arcueil a interdit sur le territoire de la commune l'affichage publicitaire en faveur des "messageries roses" ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cet affichage ait été susceptible de provoquer dans cette commune des troubles matériels sérieux ; qu'en l'absence de circonstances locales particulières, qui ne ressortent pas du dossier, le caractère immoral desdites messageries, à le supposer établi, ne peut fonder légalement une interdiction de toute publicité en leur faveur ; que si la commune soutient que l'arrêté attaqué aurait été justifié également par la nécessité de prévenir une atteinte à la dignité de la personne humaine, elle n'apporte, en tout état de cause, aucun élément au soutien de ce moyen ; qu'ainsi la commune d'Arcueil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté en date du 14 mai 1990 ; »
Plusieurs termes sont importants ici et peuvent s’appliquer à l’arrêté du 26 mai 2023 à Avignon :
- « pièces du dossier » : l’important ici est que toute mesure prise en vertu des pouvoirs de police doit s’appuyer sur des éléments concrets et démontrables, par des pièces relatant des faits précis établissant que cette interdiction est nécessaire
- « circonstances particulières » : si les pièces ne démontrent rien, il est nécessaire d’établir des circonstances particulières rendant nécessaire l’interdiction édictée par le maire. Quelles peuvent être lesdites circonstances particulières. Rien n’est certain. Peut-être les municipalités constituant des lieux de pèlerinage, mais sans que ce la ne soit certain
- « aucun élément en soutien de ce moyen » : terme redondant par rapport à celui de « pièces du dossier ». Ce qui est dit ici est que, si un maire édicte une ou des mesures de police, il doit pouvoir en démontrer concrètement la nécessité.
Plus récemment, en date du 3 juin 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé un arrêté similaire édicté par la maire de la ville de Douarnenez au motif que sans risque avéré et actuel de trouble à l’ordre public, celle-ci outrepassait ses pouvoirs de police en prenant un tel arrêté.
Qu’en est-il de la situation de la mairie d’Avignon au regard de ce qui précède ?
En fait il apparaît que l’arrêté du 26 mai 2023 fait partie de ces arrêtés dits « préventifs ». Mais ceux-ci ne se basant sur rien, encourent l’annulation.
Quant aux circonstances particulières concernant Avignon, ce n’est certainement pas le festival, ni certains spectacles « scabreux » (on pense notamment à ceux mis en scène par Jan Favre !!) qui vont les caractériser.
En plus, il apparaît qu’en même temps qu’Hubert distribuait ses tracts, une petite compagnie théâtrale composée de jeunes actrices et acteurs défilait tous les jours en sous-vêtements.
Et la maréchaussée n’a jamais pensé à verbaliser ces « dangereux délinquants » ?