BELGIQUE : DEUX DÉCISIONS DE JUSTICE

CONTRADICTOIRES VOIRE ANTAGONISTES

(Paru dans Naturisme Magazine n° 40)

 

L’essentiel de l’actualité judiciaire du naturisme et de la nudité de ces dernières semaines s’est déroulé en Belgique, où par deux fois la juridiction pénale a statué sur deux espèces différentes.

Et la surprise est de taille : les solutions adoptées sont diamétralement opposées. C’est quasiment du « jamais vu ».

Il nous faut donc revenir sur les faits ayant donné lieu à ces décisions de justice (1), puis rappeler le texte de loi en vigueur (2), avant de nous poser la question de savoir quelles principes pouvons-nous dégager de ces solutions (3).

 

1) Les faits

  1. a) Un organisateur de randonues

Le président-fondateur d’une association dédiée à la randonue était poursuivi pour deux chefs de prévention :

  • Il avait organisé une dans les bois de Florenville le 10 juillet 2011, au cours de laquelle les naturistes avaient croisé une famille avec trois enfants. Ces derniers avaient porté plainte.

 

  • Ce chef de prévention s’accompagnait d’un deuxième où des photos et vidéos avaient été prises entre juillet 2009 et mars 2010 dans le centre-ville d’Arlon où des femmes dénudées avaient posé en plein jour devant les magasins, sur le parvis de l’église et près de l’ancien palais de justice.

En 2014, le Tribunal correctionnel d’Arlon le condamne à une peine d’emprisonnement ferme de six mois. Il fait appel de cette décision.

Il est acquitté (l’équivalent de « relaxé » pour les juridictions correctionnelles françaises) par la Cour d’appel de Liège pour les motifs suivants :

  • S’agissant de la randonue, la prévention n’est pas retenue au motif que «  La notion de bonnes mœurs n’est pas définie par la loi, mais laissée à l’appréciation souveraine du juge. Etant donné l’absence d’excès dans la pratique impudique partagée par des personnes majeures et consentantes et qu’il s’agit d’un acte isolé, alors que des précautions avaient été prises, la Cour considère que la rencontre fortuite ne peut pas être considérée comme une atteinte aux bonnes mœurs  »

 

  • S’agissant du deuxième chef de prévention, « …les photos et les films incriminés ne représentent pas des actes de copulation, des pratiques sexuelles perverses, à deux ou en groupe, des scènes de violence sexuelle, de bestialité ou encore de sadomasochisme et que les images s’adressent à un public averti et consentant.

 

 

2) Un toiturier naturiste

Un justiciable est aperçu nu à vélo autour de chez lui.. En février 2008, selon le parquet, alors qu’il résidait alors encore à Bruxelles il s’est rendu nu dans la cour à front de rue de son habitation par une température de 2°.

Par ailleurs, entre 2007 et 2014, il fait l'objet de nombreuses plaintes, notamment parce qu'il pratique son métier - toiturier – sans vêtement. Il explique notamment : « Je préviens mes clients à l'avance et parfois je porte quand même un petit pagne. Dans les endroits où je travaille nu, je protège les lieux avec des toiles, de manière à ce que personne ne me voie de la rue ».

Il est attrait devant la juridiction correctionnelle de Hal-Vilvorde. L’audience s’est tenue le 13 novembre 2015.

Le Parquet a requis deux ans d’emprisonnement ainsi qu’une probation de deux ans avec suivi d’une formation pour « comprendre ses victimes ».

Il est condamné à une peine ferme d’un an d’emprisonnement.

 

  1. II) Les textes légaux

S’agissant de la randonue de la première espèce, le texte applicable 385 l’article 385 du code pénal belge :

« Quiconque aura publiquement outragé les mœurs par des actions qui blessent la pudeur, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de vingt-six euros à cinq cents euros. »

Cet article selon nous est sujet à multiples interprétations, tant les notions d’outrage, de mœurs ou de pudeur blessée sont variables selon les personnes. C’est plutôt un avantage car il peut être adapté aux mœurs du moment, un peu comme l’était l’ancien article 330 du code pénal français où il était question d’outrage public à la pudeur.

Il est à noter que la peine requise par le parquet était de deux ans, alors que la peine maximale de l’article 385 est d’un an. Il s’agit peut-être d’une récidive légale, auquel cas la peine encourue est augmentée.

S’agissant des photos et des vidéos, le texte applicable est l’article 383 du même code en son alinéa 1 :

« Quiconque aura exposé, vendu ou distribué des chansons, pamphlets ou autres écrits imprimés ou non, des figures ou des images contraires aux bonnes mœurs, sera condamné à un emprisonnement de huit jours à six mois et à une amende de vingt-six euros à cinq cents euros ».

Ici encore le terme « contraire aux bonnes mœurs » est vague. Les photos ou vidéos de nudité sont-elles ou non contraires aux bonnes mœurs ? La solution dépendra du juge.

 

III) Quels principes dégager de ces deux décisions ?

Ce qui apparait pour le moins évident, c’est l’opposition des solutions adoptées par ces deux décisions de justice.

A notre avis, cette divergence est due au fait que leur formulation apparaît vague et peu précise.

Le juge a, ainsi que nous l’avons précisé plus haut, la latitude la plus large pour interpréter les textes et par conséquent les appliquer dans un maximum de directions possibles.

Ensuite, ce qui est au minimum éberluant c’est le caractère extrêmement élevé, pour ne pas dire stratosphérique de la peine infligée au toiturier.

Il s’agissait d’une nudité sans comportement sexuel. Une telle sévérité nous apparaît au minimum incompréhensible.

Est-ce la barrière de la langue, le fait qu’il n’ait pas été assisté d’un avocat, ou encore qu’il ait refusé de suivre la formation pour comprendre les victimes ? Il est difficile de répondre à ces questions.

Face à une telle condamnation il a précisé qu’il ne changerait pas. Il n’est pas dit dans les articles relatant cette affaire s’il entendait interjeter appel. Il est à souhaiter qu’il l’ait fait.

 

En France, il semble s’opérer une « décrispation » progressive des juridictions face à la nudité (voir par exemple notre chronique du n° 38 de Naturisme Magazine). Récemment encore il y a eu relaxe de quelqu’un nu à son balcon.

La relaxe du randonneur naturiste devant le Tribunal correctionnel de Périgueux a probablement enclenché ce processus.

Il est à souhaiter que la Cour de cassation belge, face à une telle divergence de jurisprudence, soit saisie, et unifie le droit concernant le caractère répréhensible ou non de la nudité, de préférence bien entendu dans le sens de la libéralisation.

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