COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME, RELIGION

 ET NATATION MIXTE DANS LES ÉCOLES

 

En ces temps de crispation communautaire et religieuse, il n’est pas étonnant que la Cour européenne des droits de l’homme soit saisie de demandes tendant à ce que les préceptes religieux priment sur la loi des hommes.

De même c’est sans surprise que nous retrouvons des demandes concernant les vêtements, la mixité, la séparation des sexes et les signes religieux.

Ainsi, en date du 10 janvier dernier, dans l’arrêt OSMANOĞLU ET KOCABAŞ c. SUISSE (Requête no 29086/12), la Cour fut saisie par des parents de trois filles  contestant des peines d’amende infligées suite à leur opposition à ce que deux d’entre elles assistent au cours de natation mixte.

Il convient de remarquer au préalable que des propositions leur avaient été formulées, notamment la possibilité de porter une tenue de bain intégrale ou burkini.

De plus la mixité ne s’appliquait plus à partir de l’âge de douze ans.

Par une lettre du 28 juillet 2010, les autorités scolaires infligèrent une amende de 350 CHF (environ 323 EUR) par parent et par enfant (soit, au total, 1 400 CHF – environ 1 292 EUR) pour manquement à leurs responsabilités parentales (paragraphe 91, alinéas 8 et 9, de la loi scolaire du canton de Bâle-Ville).

Le recours des requérants contre cette décision fut rejeté par la cour d’appel du canton de Bâle-Ville (Appellationsgericht des Kantons Basel‑Stadt) le 30 mai 2011.

Par arrêt en date du7 mars 2012, le Tribunal fédéral suisse rejeta le pourvoi des requérants, estimant que le refus des autorités de dispenser leurs filles des cours de natation mixtes à l’école primaire n’avait pas violé le droit des requérants à la liberté de conscience et de croyance.

Les parents se tournaient donc vers la Cour européenne des droits de l’homme, arguant d’une violation de l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme libellée comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

  1. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

La cour a déclaré recevable, ainsi que non manifestement infondée la requête à ce titre.

Ce point éludé la Cour doit, dans sa décision :

  • Examiner s’il y a « ingérence » dans une liberté protégée par la convention. C’est ce qu’allèguent les requérants qui estiment que, même si le coran n’impose de couvrir les filles qu’à compter de la puberté, leur foi leur dicte de les préparer à cette interdiction avant celle-ci, ce qui traduit une conception « extensive » des préceptes de leur religion. La Cour estime que l’on se trouve dans une situation où le droit des requérants de manifester leur religion est en jeu, ceux-ci étant titulaires de l’autorité parentale et donc disposer de l’éducation religieuse de leurs enfants. Il y a donc bien ingérence dans l’exercice de la liberté religieuse garantie par la convention

 

  • L’ingérence caractérisée, vérifier si celle-ci est justifiée au regard du deuxième alinéa de l’article 9 cité plus haut. La cour devait examiner si le refus des autorités compétentes d’exempter les filles des requérants des cours de natation mixtes était nécessaire dans une société démocratique et, plus particulièrement, proportionné aux buts poursuivis par ces mêmes autorités. Elle répond par l’affirmative dans un arrêt très fouillé et à l’argumentation élaborée en disposant entre autres que :

 

  • « l’école occupe une place particulière dans le processus d’intégration sociale, place d’autant plus décisive s’agissant d’enfants d’origine étrangère. Elle accepte que, eu égard à l’importance de l’enseignement obligatoire pour le développement des enfants, l’octroi de dispenses pour certains cours ne se justifie que de manière très exceptionnelle, dans des conditions bien définies et dans le respect de l’égalité de traitement de tous les groupes religieux ». Il y a donc deux conditions : le caractère très exceptionnel de la dispense et l’égalité de traitement.

 

  • Elle estime donc que « l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes. » (c’est nous qui soulignons). Ce principe doit à notre sens être étendu à toutes activités sportives ou culturelles sauf des éléments d’espèce par essence exceptionnels

 

  • Elle estime de même que « l’enseignement du sport, dont la natation faite partie intégrante dans l’école suivie par les filles des requérants, revêt une importance singulière pour le développement et la santé des enfants. Cela étant, l’intérêt de cet enseignement ne se limite pas pour les enfants à apprendre à nager et à exercer une activité physique, mais il réside surtout dans le fait de pratiquer cette activité en commun avec tous les autres élèves, en dehors de toute exception tirée de l’origine des enfants ou des convictions religieuses ou philosophiques de leurs parents» (c’est nous qui soulignons).

 

La Cour européenne des droits de l’homme estime donc, fort justement selon nous que la nécessité d’intégration des élèves prime sur le religieux. Et c’est un principe qui, s’il peut nous sembler être frappé au coin du bon sens, n’en nécessite pas moins d’être réaffirmé de manière claire et non équivoque.

L’ingérence était justifiée au regard de l’article 9 de la convention.

Il est à noter que cet arrêt a été adopté à l’unanimité des juges.

Une telle solution a-t’elle un intérêt dans la pratique naturiste ? Pas de prime abord en tout cas, à moins d’une revendication de nudité en vertu de pratiques sinon religieuses, à tout le moins philosophiques.

De plus, en matière de nudité, il y a l’arrêt Stephen Gough du 28 octobre 2014 où la Cour relève :

  • Que les mesures répressives constituaient bien une ingérence à l’exercice de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la convention

 

  • Que cette ingérence est justifiée dans la mesure où il s’agit de mesures individuelles qui ne constituent pas « une interdiction générale de la nudité en public ».

 

Ces solutions sont intéressantes même si, dans l’arrêt Stephen Gough, la solution adoptée est sujette à débats dans la sphère naturiste, en ce que le but recherché par la Cour est l’équilibre entre différents impératifs antagonistes.

C’est la recherche, même si le terme apparaît de plus en plus galvaudé, du « vivre ensemble ».

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