AVANT PROPOS : la mise à jour qui suit est consécutive à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne , conférant force légale à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne figurant en annexe. Il s'agit de constater que nous sommes concernés par un texte de plus en la matière. Il ne s'agit pas de l'expression d'une opinion favorable ou défavorable audit Traité en général. Je ne répondrai par conséquent pas à toute remarque en ce sens.

 

La question du naturisme par rapport aux droits de l’homme se pose régulièrement. Soit il est soulevé que le texte pénal censé régir le naturisme, savoir l’article 222-32, serait contraire aux « Droits de l’homme », soit il est revendiqué une référence explicite sur le droit à la nudité dans la constitution et les textes sur les droits de l’homme en général.

Le présent texte n’a pas pour but de prendre clairement partie, mais de tenter d’apporter quelques points de repère dans une matière beaucoup plus complexe qu’il n’y parait : le « droit des Droits de l’homme » est précis, rigoureux et concis, et ce n’est pas du tout le droit du « C’est bien ou c’est pas bien ».

Nous ferons le point d’abord sur les textes fondamentaux en vigueur en France (I)

Ensuite nous essaierons de dégager les articles posant les principes susceptibles de trouver application en matière de naturisme (II).

 

I) Textes fondamentaux

Ceux qui sont applicables en France sont au nombre de deux. Mais abordons en premier lieu celui qui, contrairement à ce qui peut sembler de prime abord pas évident, n'est pas directement applicable.


A) Texte non applicable

Il s’agit principalement de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme adoptée par une résolution N° 217 de l’ONU en date du 10 décembre 1948, elle n’a pas été ratifiée. Elle n’a donc pas force obligatoire en France, en vertu d’une jurisprudence dominante.

 

B) Textes applicables

 

Ils sont au nombre de trois :

- un texte à valeur constitutionnelle : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 1)

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme 2)

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne figurant en annexe du Traité de Lisbonne, suite à la ratification générale de celui-ci.

1) Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

 

Elle est incluse dans le préambule de la Constitution de 1946, repris par le Constitution du 4 octobre1958.

La question de la valeur constitutionnelle et donc au-dessus de la loi, dudit préambule a été tranchée positivement par une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971, date importante s’il en est, dans l’histoire des droits de l’homme en France.

 

2) La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

 

Adoptée le 4 novembre 1950, elle fut ratifiée par la France. La surveillance de son application est dévolue à une juridiction dédiée à : la Cour européenne des droits de l’homme, établie à Strasbourg, dont la jurisprudence revêt une importance croissante.

La Cour européenne des droits de l'homme peut être saisie par tout citoyen qui s’estimerait lésé dans l’application de cette convention.

3) Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne


Adoptée et proclamée par les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission lors du Conseil européen de Nice elle n’avait pas force obligatoire à l'origine.

 

Elle figure toutefois en annexe du Traité de Lisbonne et a même valeur que ce dernier. Elle est donc devenue directement applicable depuis le 1er décembre 2009.

 

Pour voir le texte intégral cliquer ici

Maintenant, en quoi le naturisme dans son aspect revendicatif notamment peut-il est concerné par l’un ou l’autre de ces textes ?

 

II) Droits de l’homme et naturisme

 

Il y a bien sur l’affirmation de la liberté individuelle, telle que posée par l’article 4 de la déclaration de 1789? :

 

«? La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

Il est ainsi défini le rôle de la loi et notamment de la loi pénale : la définition des bornes, censée fixer la limite à notre liberté : celle des autres. Invoquer uniquement ce texte relève donc d’une démarche incomplète, car quid des « bornes » en la matière ?

Or le texte principal concernant le naturisme est un texte pénal, savoir l’article 222-32 (L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende).

Il faut donc voir les principes fondamentaux applicables à la loi pénale et qui pourraient éventuellement invoqués à l’appui d’une argumentation « pro-naturisme » A) et ensuite voir comme l’un et/ou l’autre pourrait être utilisé B)

 

A) Principe fondamentaux en matière de loi pénales

 

Nous en verrons trois :

 

- la liberté d'expression pour la raison énoncée plus bas 1)

- le principe de légalité 2)

- le principe de proportionnalité 3)

 

1) La liberté d'expression

 

Pour ce qui concerne la déclaration des droits de l'homme de 1789, cette liberté est contenue dans l'article 4 cité plus haut.

La Convention européenne des droits de l'homme l'affirme en son article 10 1er alinéa :

"Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent articlen’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations"

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne pour sa part dispose en son article 11 :

 

" Liberté d'expression et d'information
1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières.
2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés."

 

2) Le principe de légalité

 

C’est l’affirmation selon laquelle on ne peut être puni qu’en vertu d’un texte légal prééxistant.

Il est contenu dans :

 

L’article 7 de la déclaration de 1789 :

 

« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la résistance »

 

L’article 7-1 de la Convention européenne des droits de l’homme :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

 

Et dans l'article 47- 1 et 2 de la charte :

"1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou le droit international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été
commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.

2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux reconnus par l'ensemble des nations"

Laissons de côté le paragraphe 2, la nudité n'étant pas (heureusement !!) criminelle !!!!

 

3) Le principe de proportionnalité

 

Il est contenu dans l’article 8 de la déclaration de 1789? :

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » (c’est nous qui soulignons).

Ceci implique que la punition doit être proportionnée à la gravité réelle de l’acte. Il s’agit du principe de proportionnalité des délits et des peines.

Or, le Conseil constitutionnel après une jurisprudence hésitante sur la valeur constitutionnelle du principe en question, a penché depuis une décision du 3 septembre 1986 confirmée par d’autres décisions ultérieures, en faveur de la valeur constitutionnelle.

L'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme pose les tempéraments à la liberté d'expression et dispose que :

"L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire."

 

D'une manière générale, il est intéressant de noter qu'en matière de limitations à l’exercice d’un droit, l’ « ingérence » dit la Cour européenne des droits de l'homme dans une arrêt du 16 décembre 1997, notamment, doit être "fondée sur un besoin impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché".

Il s’agit toujours de la mise en concurrence de l’intérêt individuel et de l’intérêt général.

L'alinéa 3 de la Charte des droits fondamentaux quant à elle dit que :

"L'intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction."

 

B) Application au naturisme

 

1) Liberté d'expression

La pratique du naturisme dans et hors lieux dédiés ressort de quel type de liberté défendue par les textes ?

Il n'y a pas de réponse précise en tout cas en droit français : une indication est donnée en matière de tenue de travail (port du bermuda par un commercial en matière de référé prud'hommal) : il s'agit de la liberté d'expression. Nous nous joignons à cette analyse.

 

2) Principe de légalité

Le principe devait être rappelé ici, mais dans la mesure où :

- l’article 222-32 est un texte de nature législative

- ce n’est pas son illégalité intrinsèque qui pose problème, mais sa rédaction d’une part, son interprétation d’autre part,

Il paraît difficilement devoir être invoqué dans le cas du naturisme

 

3) Principe de proportionnalité

Nombre d’entre nous trouvons justement la qualification de délit pour la nudité dépourvue de tout comportement sexuel, justement complètement disproportionnée par rapport à la gravité réelle du fait lui-même.

Or justement, il pourrait être argué, que cette qualification de délit contreviendrait au principe de proportionnalité.

Ceci d’autant que la Cour européenne des droits de l’homme adopte une conception intéressante quant à sa propre jurisprudence : elle en souligne le caractère évolutif.

Ainsi considère-t’elle, dans une décision du 7 juillet 1989, que la Convention est à regarder comme « un instrument vivant » qui doit être interprété "à la lumière des conditions actuelles" (c’est nous qui soulignons). Et comme la notion de pudeur, et de « nudité taboue » a tendance justement à évoluer…

Cela ne signifie pas de façon certaine qu’elle rendrait un arrêt favorable au caractère non répréhensible de la nudité simple si un cas lui était soumis.

De plus il est fort probable que la prohibition du naturisme hors lieux spécialement dédiés au regard de l'article 10 ci-dessus cité se fonderait sur la "protection de la morale". Ce pourrait être l'un des débat à engager éventuellement devant la Cour européenne des droits de l'homme si elle était saisie de la question.

Concernant la Charte des droits fondamentaux, ce n'est pas tant dans le texte de l'alinéa 3 de l'article 47 de l'article qu'il faut trouver un fondement : les peines sont de plus en plus modiques.

C'est la qualification de délit qui pose problème : c'est donc dans le titre de l'article que l'on peut trouver un fondement : principe de légalité et de proportionnalité des délits et des peines. Y'aurait-il l'affirmation de proportionnalité des délits ?

En tout cas, il n’y a pas absence totale d’arguments dans la mesure où la qualification de délit apparaît justement disproportionnée et devrait être réservée à tout comportement à caractère sexuel.

Quelle conclusion tirer de ce qui précède ? En premier lieu, à notre sens, que l’affirmation selon laquelle, de but en blanc, le principe jurisprudentiel tiré de l’article 222-32 est contraire aux droits de l’homme, apparaît trop sommaire et risque ainsi de voir sa crédibilité entachée.

Toutefois on peut pousser l’analyse de la question au regard du principe de proportionnalité.

Car le présent texte est une analyse volontairement sommaire et destinée à susciter le débat, tant parmi les juristes intéressés que chez les naturistes.

 

 

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