REECRITURE ET PRECISIONS APPORTEES A L’ARTICLE 222-32 DU CODE PENAL
Le 21 avril 2021 est entrée en vigueur la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Elle traite notamment des questions de l’âge du consentement et de l’inceste sur lesquels nous reviendrons ultérieurement. Mais selon l’auteur de ces lignes, cette loi vient heureusement conclure le débat en la matière, et de façon très satisfaisante.
Elle modifie en son article 12 l’article 222-32 réprimant l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public, et qui est l’article utilisé pour condamner tout aussi bien les attitudes et comportements ouvertement sexuels en public que les cas de nudité sans attitude sexuelle, ce qui en soit pose problème, car cet article est utilisé pour traiter des situations sans rapport entre elles.
Concernant l’application du délit d’exhibition sexuelle et son interprétation antérieure, nous ne pouvons que rejoindre les constatations qui y sont effectuées, savoir :
- Que le délit en question est laissé à l’appréciation du juge. Or cette marge d’appréciation est justement trop large, ainsi qu’en témoigne une jurisprudence divergente selon les tribunaux, ce qui est significatif d'une rédaction trop vague et approximative,
- Cette marge d’appréciation a amené la cour de cassation à considérer qu’il n’y avait pas délit si les parties sexuelles n’étaient pas visibles, depuis un arrêt que nous pouvons qualifier de « pièce d’anthologie » ou même « collector », en date du 7 décembre 2011, pour lequel nous ne résistons pas à la tentation de reproduire « l’attendu de principe » :
« Attendu que le délit d'exhibition sexuelle suppose que le corps ou la partie du corps volontairement exposé à la vue d'autrui soit ou paraisse dénudé ;
Attendu que, pour déclarer Jean-Pierre X... coupable d''exhibition sexuelle, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, relève que le prévenu a fait un geste obscène en direction d'une des personnes présentes en prenant son sexe entre ses mains à travers son short ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;»
Il est vrai qu’en terme de protection de l’enfance, c’est plus que moyen…
La chronique en question se trouve ici
http://www.naturismedroit.net/droit-penal/24-jurisprudences-etrangesa
Au travers de ces constatations et d’autres concernant les femen, il a été repris une proposition de Benjamin Moron-Puech, maitre de conférences proposant une nouvelle rédaction, remplaçant le terme « exhibition sexuelle » par « exhibition d’un acte sexuel », ce qui a pour conséquence de déconnecter le délit d’exhibition de la nudité.
Après il reviendrait aux tribunaux d’user de leur pouvoir d’interprétation pour déterminer ce qu’est précisément un acte sexuel. Par exemple une posture immobile mais que l’on peut qualifier de franchement exhibitionniste constitue-t ’elle un acte sexuel ? A mon sens oui, mais peut-être faudrait-il préciser l’article.
Or la première version de nouvelle rédaction (figurant dans une proposition de loi à laquelle il n’est pas donné suite pour le moment) de l’article risquait de poser de sérieux problèmes.
« Art. 222-32. – L’exhibition des parties sexuelles du corps ou d’un acte sexuel imposée intentionnellement à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende. ».
Au crédit de cette rédaction, nous pouvons noter :
- L’emploi du mot « intentionnellement » : cela serait susceptible d’éviter des condamnations suite à des rencontres fortuites dans des lieux peu fréquentés
- La répression de l’acte sexuel
Ce qui était nettement plus problématique est :
- L’emploi du terme « parties sexuelles » : en employant une définition extensive validable au terme de cet article s’il est adopté tel quel, sont concernées non seulement les parties génitales, mais aussi les parties sexuelles « secondaires » tel le torse féminin. Or il a bien été précisé par le ministre de l’Intérieur notamment que le topless n’était pas illégal, suite à une demande faite à deux femmes par deux gendarmes sur une plage de remettre le haut.
- Les artistes utilisant le nu comme mode d'expression, a fortiori ceux effectuant des "happening" ou performances sans vêtements risquaient d'être impactés directement également, et voir donc leur expression artistique sanctionnable pénalement
- Le fait que si rien n’est précisé, les naturistes étaient concernés par cet article. Le corps est visible dans sa globalité. La tendance jurisprudentielle actuelle semblant être actuellement de suivre un retour en force de l’ordre moral en matière vestimentaire, l’article, s’il n’avait pas été changé était susceptibles de leur être applicable, ce qui aurait été catastrophique pour le naturisme.
Nous appelions avec beaucoup d’autres à une réécriture de ce projet d’article avant son vote. Ce fut le cas suite au fait que l’attention des rédacteurs avait été attirée sur les problèmes soulevés ci-dessus.
Une nouvelle rédaction a été établie. La loi a été adoptée.
L’article 222-32 nouvelle version dispose que :
« L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Même en l'absence d'exposition d'une partie dénudée du corps, l'exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d'autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d'un acte sexuel, réel ou simulé.
Lorsque les faits sont commis au préjudice d'un mineur de quinze ans, les peines sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 euros d'amende. »
Le deuxième alinéa semble clair : l’exhibition sexuelle est constituée même si l’auteur est habillé et n’exhibe pas, notamment mais pas seulement, ses parties sexuelles, et s’il y a la commission explicite d’un acte sexuel réel ou simulé.
Plusieurs termes sont importants :
- La commission explicite : l’exhibition, habillée ou non, devra être explicite, c’est-à-dire que l’acte ne doit pas être simplement suggéré. Qu’en est-il de gestes « suggestifs » ? C’est peut-être l’un des points qui devra être tranchés en jurisprudence. Ce n’est pas gravissime, car une telle gestuelle pourrait tomber sous le champ d’application de l’outrage sexiste.
- Acte sexuel : les deux mots sont importants. Acte : il s’agit d’une action à caractère sexuel. Qu’en est-il des attitudes sexuelles mais passives, comme par exemple des poses sexuelles, mais immobiles sur une plage naturiste ? Encore une question susceptible d’arriver devant les tribunaux…
- Réel ou simulé : c’est un point important : peu importe que l’on fasse semblant lorsque l’on commet un acte sexuel dans un lieu accessible au regard du public. L’infraction est constituée. Cela s’applique également, bien entendu, en milieu naturiste!!
Qu’en est-il de la nudité non sexuelle : à notre sens il est clair qu’elle sort du champ d’application du deuxième alinéa.
Sort-elle du champ d’application de l’infraction en général ? A notre sens oui, en raison du rôle du deuxième alinéa par rapport au premier (seul dans la première version de l’article). Ce deuxième alinéa précise-t’il (notamment par les termes « commission explicite d’un acte sexuel réel ou simulé ») la notion exposée dans le premier (« exhibition sexuelle ») ? A notre sens oui. Sinon l’article 222-32 viserait tout à la fois la nudité non sexuelle et la commission explicite d’un acte sexuel, donc deux comportements qui n’ont rien à voir entre eux, ce qui poserait le problème de la conformité de cet article au principe de légalité qui dispose que nul ne peut être puni que par une loi préexistante rédigée en termes clairs et précis.
Il pourra être rétorqué par les tenants du caractère répréhensible de la nudité, que le deuxième alinéa ne vient pas préciser le premier, mais établir un cas particulier.
A notre sens cette analyse ne tient pas la route, en raison notamment de la non-conformité au principe de légalité que cela entraînerait.
De plus il est bien précisé que l’infraction est constituée si les conditions du deuxième alinéa sont remplies. Donc qu’elle ne l’est pas dans le cas contraire.
Toutefois la nouvelle version de l’article 222-32 va devoir maintenant passer l’épreuve des passages devant les tribunaux. Ce sera le moment d’argumenter et de continuer à argumenter. Avec une situation à notre sens, meilleure que sous l’ancienne version…
Pour conclure, nous ne pouvons que saluer l’instauration de la circonstance aggravante si la victime est un(e) mineur(e) de quinze ans (ou moins) par le troisième alinéa qui ne devrait pas souffrir la moindre contestation…