Pour comprendre ce que peut représenter le naturisme au regard de la loi pénale : il nous faut nous reporter... sous le second empire !!

Bien sur, il y eut une évolution, mais qui ne fut pas linéaire. C'est là toute la complexité du problème !

C'est pourquoi nous opérerons un bref rappel historique du contexte législatif concernant la nudité et le naturisme, avant d'opérer un état légal et jurisprudentiel actuel.

 

I) Une évolution législative en deux étapes

Le texte concernant directement le naturisme a été d'abord été l'article 330 du Code Pénal découlant de la loi du 13 mai... 1863 (eh oui ! ce n'est pas une faute de frappe). disposant que :

« Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de 50 000 à 450 000 francs (500 F à 4 500 F). »

Si un texte a duré si longtemps, c'est qu'il était fondamentalement évolutif et adaptable au conditions d'une époque ou d'une autre. C'est ainsi qu'a pu être décidé par la Cour de Cassation en 1965 que « Le fait, pour une jeune femme, de se livrer en public au jeu de ping-pong, vêtue d'une simple cache-sexe, les seins entièrement nus, s'analyse en une exhibition provocante de nature à offenser la pudeur publique et à blesser le sentiment moral de ceux qui ont pu en être les témoins », puis par la Cour d'Appel de Douai en 1989 que « À défaut d'intention coupable, aucun outrage public à la pudeur n'est commis par la personne qui, se dévêtant entièrement sur les quais d'un port, plonge dans l'eau et remonte par un escalier d'accès à un navire dont l'équipage le remet à la police dans cette absence de tenue, ne s'étant couvert que de ridicule et d'un mouchoir prêté par un marin, dès lors que la simple nudité d'un individu sans attitude provocante ou obscène ne suffit pas à constituer le délit reproché. » La notion est par essence susceptible de changer de forme. Depuis le 1er mars 1994, un nouveau Code Pénal est rentré en vigueur. L'article 330 a laissé la place à l'article 222-32 :

« L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 € d'amende. »

Les peines d'amende ont été alourdies, tandis que la peine de prison maximale a été ramenée à un an.

 

II) Une rédaction ambigüe

Il ressort de la rédaction de cet article que deux conceptions sont en présence au regard de la notion d'exhibition :

- soit l'exhibition consiste simplement à ne pas cacher : dans ce cas, pris dans son caractère littéral, quelqu'un qui prend sa douche en laissant la fenêtre de sa salle de bain ouverte commet l'infraction, ainsi que bien entendu les naturistes sauvages. L'ancienne infraction d'attentat à la pudeur laissait (paradoxalement peut-être) plus de marge de manœuvre dans la mesure où la notion de pudeur elle-même était sujette à évolution.

- soit il s'agit non pas de ne pas cacher, mais en quelque sorte de "forcer à voir" (c'est entre autres le sens donnés par les dictionnaires). Dans ce cas ne commettent l'infraction que ceux montrent de manière délibérée les parties en question en les mettant bien en évidence par rapport au corps , voire les accompagnent de gestes pour les "valoriser" encore davantage !!

Quelle conception doit primer ? Il n'est pas évident de trancher. Toutefois, le paragraphe de la circulaire d'application du code pénal (en quelque sorte, les indications données aux procureurs) qui traite de l'infraction en lieu naturiste donne une indication.

"L'article 222-32 qui réprime « l'exhibition sexuelle », correspond à l'actuel article 330 relatif à l'outrage public à la pudeur. L'incrimination a été formulée de manière à écarter toute possibilité de poursuites à l'encontre de personnes se livrant au naturisme dans des lieux spécialement aménagés à cet effet. Le texte précise en effet que pour être répréhensible, l'exhibition sexuelle doit avoir été « imposée à la vue d'autrui ». Cette précision ne signifie toutefois pas que l'infraction ne saurait être constituée que lorsqu'un tiers a effectivement été témoin de l'exhibition. Il suffit en effet que cette exhibition soit réalisée en un lieu accessible aux regards du public et dans lequel une personne non-consentante est susceptible de l'apercevoir (ce qui n'est pas le cas dans un lieu où se trouvent des naturistes). Au demeurant, l'infraction ne peut en pratique être poursuivie que si elle a été constatée par un agent verbalisateur, à la vue duquel l'exhibition a donc été imposée."

Il n'y aurait pas infraction en milieu naturiste. Mais à l'extérieur si ! Or les naturistes n'exhibent pas, il ne cachent pas ce qui n'est pas la même chose. La circulaire (censée malgré tout exprimer la volonté des rédacteurs de la loi) donne une conception de l'infraction très extensive, et il y a fort à parier qu'une bonne partie de la population française à une fois ou une autre commis l'infraction.

 

III) Une jurisprudence plutôt répressive

Qu'en est-il de la jurisprudence ? Elle n'est pas très abondante.

A partir des exemples que nous avons pu collecter, nous pouvons établir que :

- quelqu'un qui persiste à se mettre nu dans son jardin malgré les requêtes répétées de ses voisins commet le délit (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 mai 1999)

- De même commet l'infraction le prévenu qui reste pendant plusieurs heures entièrement nu dans sa voiture, stationnée sur la voie publique près de la berge d'une rivière, car " ...il n'est en effet allégué aucun changement de vêtement qui aurait pu justifier temporairement sa nudité. En outre, ce comportement ne saurait être justifié par la volonté de se faire bronzer. De plus, admettre un tel argument serait de nature à justifier toutes les exhibitions sexuelles " (Cour d'appel de Grenoble 27 août 1997)

La Cour de cassation, dans sa formulation, sembler laisser l'appréciation aux juges du fond, ce qui est une forme d'approbation "sans le dire".

Mais les décisions de justice en la matière sont plutôt rares.

 

IV) Toutes dernières jurisprudences connues

A) Tribunal correctionnel de Nîmes

En premier lieu il s'agit d'une décision du Tribunal correctionnel de Nîmes, dont le texte n'est pas encore disponible, condamnant un homme, par ailleurs notable, se livrant aux plus pures exhibitions sexuelles sur une plage naturiste.

Cette décision est importante en ce sens qu'elle admet :

- que l'infraction peut être constituée en milieu naturiste, ce qui va à l'encontre de la circulaire d'application du code pénal sur le sujet (cf plus haut)

- qu'elle peut peut-être signifier une évolution dans les réquisitions du parquet, le Procureur de la République ayant bien mis l'accent lors desdites réquisitions sur la différence entre le naturisme, et les agissements poursuivis en l'espèce.

Il convient toutefois d'être prudent, notamment en cas d'appel et de pourvoi en cassation.

Affaire à suivre donc, mais il n'empêche que cette décision du Tribunal correctionnel de Nîmes, et la publicité qui s'en est suivie ne peuvent être que bénéfiques pour la suite des événements.

Ensuite une décision en date du 11 octobre 2005 du Tribunal correctionnel de Lorient au sujet d'un homme surpris dans un coin de plage tranquille et difficilement accessible. Ce qui est nouveau, ce n’est pas tant que l'infraction ait été retenue, mais le caractère très léger de la peine : 300 € d'amende avec sursis. Il y a quelques années, l'amende était sans sursis et d'un montant d'environ 1000 € !

Ces deux décisions, même la deuxième sont peut-être significatives d'une certaine évolution du côté des tribunaux.

 

B) Une jurisprudence concernant le Cap d'Agde

Enfin une jurisprudence du Tribunal correctionnel de Béziers : elle est importante, car c'est dans le ressort du ce Tribunal que ce trouve le célèbre Cap d'Agde :

Pour une exhibition sexuelle (masturbation !!) devant une mineure dans les douches naturistes de la plage :1000 € d'amende. Le parquet avait requis trois mois de prison avec sursis (ce qui n'eût point choqué loin s'en faut l'auteur de ces lignes !!)

Tous mes remerciement à Armand Lavialle, président du Club naturiste du Cap d'Agde pour m'avoir communiqué l'article du "Midi libre" relatant cette condamnation.

Cette association mène un combat opiniâtre pour rallier les différentes entités concernées par le problème. Nous ne pouvons ici que les applaudir des deux mains et les soutenir du mieux que nous pouvons.

 

C) De passage dans un "Mac Drive"

Récemment, à l'occasion du tournage d'un reportage pour une émission télévisé, un conducteur nu a été interpellé, suite à un passage dans un "fast-food" de la région parisienne. Suite à une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, il a été condamné à une amende de 300 €. La peine proposée et acceptée n'est pas énorme (inférieure à la peine maximum d'une contravention de troisième classe) et il est probable qu'elle eût été voisine si l'affaire avait fait l'objet d'une audience pénale classique.

 

D) Jugement du 26 mars 2008 du Tribunal correctionnel de Charleville-Mézières

Un automobiliste dans sa voiture au bord d'un canal a été aperçu par une passante depuis l'autre rive. Celle-ci a pensé qu'il ne portait pas de vêtements (ce qu'elle ne pouvait pas effectivement voir, vu l'endroit où elle se trouvait) et l'a signalé à la gendarmerie locale sans porter plainte.

Ce signalement a donné lieu à une enquête de flagrance (!), à laquelle a succédé une enquête préliminaire (!!!) au cours de laquelle a été diligentée une expertise médico-psychologique (!!!???!!!!??).

Le prévenu, par ailleurs en état de récidive légale pour des faits analogues (ayant donné lieu à une condamnation de € 300 d'amende avec sursis) a été condamné à € 500 d'amende.

Il résulte donc de ce qui précède que la nudité "simple" reste en l'état actuel de la loi et de la jurisprudence un délit

 

E) Une jurisprudence à contre-courant

A signaler un arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 15 novembre 2010. Pour une analyse à part et un large extrait de cette décision cliquer ICI.

 

V) Des pouvoirs publics "incertains" : réponses ministérielles fluctuantes et peu claires pour les dernières

Indépendamment de la loi et de la jurisprudence le problème suscité par la le traitement légal de la nudité a suscité des questions de parlementaires au ministre de la justice au nombre de trois connues.

Il est à rappeler toutefois que les réponses ministérielles n'ont aucune valeur légale : c'est au juge qu'il appartient d'interpréter la loi. Il convient donc de n'accorder ? ces textes que la valeur qu'elle peut avoir : il s'agit de simples indications sans plus.

Au demeurant, dans la version précédent de ce texte, il n'était fait mention que d'une : merci à Christian Marty de m'avoir signalé les deux autres !

 

a) La réponse Sainte-Marie

En date du 14 octobre 1991, il s'agit de la plus claire ! En précisant que "seuls les comportements sexuels présentant le caractère d'une exhibition imposée a des tiers tomberont sous le coup de la loi pénale", le Garde des sceaux de l'époque Henri Nallet ne laissait guère de place au doute.

Mais comme nous l'avons vu plus haut la jurisprudence n'a pas suivi.


Pour la réponse Sainte-Marie, cliquer ici !

 

b) Les réponses Liberti et Mariani

 

Ces deux réponses sont traitées en même temps, car elles relèvent quasiment du "copier-coller" l'une par rapport à l'autre.

Ceci est d'autant plus surprenant que les questions ne sont pas les mêmes (pour voir le texte, cf liens ci-dessous !)

 

Que peut-on en conclure

- il semble que c'est la conception "nudité simple = délit" qui l'emporte, à une exception près

- mais la conclusion des réponses du ministre apparaît en contradiction avec le développement de l'argumentation : en effet, il apparaît nécessaire, selon l'analyse ministérielle que pour qu'il y ait infraction, il doit y avoir volonté délibérée de provoquer. Or cette volonté n'est pas évidente dans le cas de quelqu'un qui veut prendre le soleil dans un coin tranquille ou dans le cas de "randonues" où des précautions ont été prises (quand au choix par exemple d'un coin le moins fréquenté possible, et à une heure qui ne soit pas "de pointe"...).

Il semble y avoir contradiction ! Mais les réponses ministérielles ne "sont pas la loi".

Pour la réponse Liberti cliquer ici

Pour la réponse Mariani, cliquer ici !

 

VIII) Un texte hybride et pas très satisfaisant

Il ressort de ce qui précède que l'article 222-32 réprime deux comportements :

- la nudité simple hors lieux naturistes. Mais dans ce cas, la peine théorique (Pour ce qui concerne les peines prononcées en pratique, il s'agit d'amendes d'environ mille euros) encourue apparaît disproportionnée,

- les vrais actes sexuels en public, auquel cas cette peine maximale semble à l'auteur de ces lignes, plutôt courte, par exemple en cas de présence de mineurs.

De plus, la qualification de délit par rapport à la gravité objective donc non juridique en l'état actuel du droit, certes, mais simplement "logique" eu égard à l'état actuel de la société et des législations étrangères (Espagne, Allemagne...) semble de plus en plus curieuse !!

La comparaison avec d'autres infractions, comme certaines concernant les animaux, apparaît significative :

- atteinte involontaire à la vie ou à l'intégrité d'un animal : contravention de 3ème classe

- mauvais traitement envers un animal : contravention de 4ème classe

- atteinte volontaire à la vie d'un animal, c'est-à-dire "Le fait sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort ? un animal domestique ou apprivoisé ou tenue en captivité" : contravention de 5ème classe !! Celui qui tue son chien ou son chat parce qu'il en assez de le trouver dans son champ de vision commet une infraction moindre que celui qui se fait bronzer dans un coin tranquille !

La vraie législation qui ferait bien la différence entre nudité et sexualité reste donc ? faire.

 

IX) Tenter de limiter le risque

Si jamais certains "naturistes hors lieux dédiés" voulaient diminuer le risque, on peut toujours conseiller de disposer des panneaux autour du lieu comprenant un texte du genre : « Au delà de cette limite des naturistes sont susceptibles d'être aperçus ». Ainsi la prétendue exhibition pourrait perdre son caractère imposé.