Quand un centre de vacances ou un club n’est plus naturiste…
Il y a des havres de paix qui peuvent se transformer en cauchemar. Par exemple, quand l’espace naturiste (club, centre de vacance, etc) où nous avons choisi d’élire domicile régulièrement, au point d’y posséder un habitat personnel (mobil-home, chalet, bungalow) où simplement y poser votre caravane, change de statut, souvent pour cause de vente, mais pas seulement. Le site ne sera plus naturiste !
Que faire ? Que vont devenir ces placements réalisés pour y passer les week-ends et/ou les vacances scolaires, voir notre retraite ? L’enjeu est d’importance, tant en investissement financier « qu’affectif ». Mais quels recours avons-nous ? Si factuelle que cette situation puisse être, elle renvoie à certaines notions fondamentales du droit des contrats.
Il ne s’agit pas ici, bien entendu, d’effectuer un cours de droit civil des obligations, mais de rappeler certaines des notions le régissant au travers des articles fondamentaux du Code civil les régissant (A), puis d’en relater une application concrète ayant donné lieu à une décision de justice, en l’occurrence un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble en date du 21 septembre 2010 (B).
A) Articles fondamentaux du code civil.
L’article du Code civil auxquels font le plus souvent références les décisions de justice pour leur solution en la matière est l’article 1134 qui pose un principe fondamental :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
Cela signifie qu’à partir du moment où nous nous sommes engagés contractuellement et pour autant que la loi l’autorise, cet engagement s’applique à nous au même titre qu’une loi.
Seulement, certains contrats ou conventions peuvent être ambigus ou manquer de clarté. Or, quand le juge doit statuer sur un litige portant sur l’application d’une convention, il doit rechercher l’intention des parties en vertu de l’article 1156 :
« On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. »
Cela apparaît clair : le Juge doit, pour interpréter un contrat, aller en quelque sorte « au-delà » des termes même de celui-ci pour en rechercher en quelque sorte le « vrai sens ».
Ceci a son importance en matière de location ou même achat en zone naturiste dans la mesure où il peut arriver que la destination naturiste de la zone ne figure pas dans le contrat.
C’est donc dans les éléments « extérieurs » ou peut-on dire « périphériques » versés par les parties que cette destination naturiste pourra être prouvée (prospectus, correspondances, voire témoignages, etc…)
Le point suivant qu’il faut établir est de savoir si les propriétaires ou locataires qui ont investi ont, au moment de contracter, entendu faire de la destination naturiste un « élément substantiel » du contrat, c’est-à-dire un élément sans lequel ils n’auraient pas contracté, c’est-à-dire conclu la location ou la vente.
Pour ceux qui ont l’habitude de côtoyer des naturistes ou sont naturistes eux-mêmes, la réponse à cette question relève de l’évidence : bien entendu que si le lieu n’avait pas été naturiste, ils n’auraient pas signé !
Mais que se passe-t-il quand cette destination ne figure pas dans le texte du contrat ? Le juge, dans ce cas, après avoir établi la destination naturiste des lieux au moment de la signature, doit établir que le naturisme constituait au moment de celle-ci « un élément substantiel ».
C’est pourquoi il est important de bien faire figurer en toutes lettres cette destination dans le texte lui-même.
B) Un exemple concret
Dans cet arrêt de la Cour d’appel de Grenoble en date du 21 septembre 2010, il était question d'un ensemble de terrains dont était propriétaire une société civile immobilière et sur lequel elle avait édifié des constructions et réalisé des aménagements pour permettre l'activité de centres de loisirs de plein air et de terrains de camping.
Cette SCI a autorisé les membres d'une association dénommée 'Centre Gymnique (…) dit CGR, dépendant de la fédération française de naturisme, à occuper des emplacements de terrain sur lesquels se trouvaient des bungalows.
Des contrats intitulés 'Engagements bungalows' ont été régularisés entre des naturistes membres du CGR et la SCI, en sa qualité de société gestionnaire propriétaire du terrain, ayant pour objet de mettre à disposition des emplacements comportant un bungalow.
Par la suite, la SCI a vendu le terrain à une SARL (société à responsabilité limitée) qui réalise des travaux de réaménagement du site et décide qu'à compter du 1er janvier 2005 la vocation du site ne serait plus naturiste mais textile.
Le 30 septembre 2004, elle a dénoncé auprès de tous les adhérents les contrats signés antérieurement à effet du 31 décembre 2004 et leur a proposé de régulariser un contrat de location d'emplacement à de nouvelles conditions, notamment tarifaires.
Les membres de l’association CGR intentent une action en justice donnant tout d’abord lieu à un jugement du Tribunal de grande instance de Vienne leur donnant gain de cause.
Il est fait appel. La Cour d’appel de Grenoble confirme le jugement en modifiant un peu à la baisse les dommages-intérêts, mais pose le principe de base (voir encadré).
Nous voyons bien que la Cour est allé « au-delà » du texte des conventions-même pour redonner aux contrats leur « vrai sens ».
Nous sommes ici dans le cas d’un changement unilatéral de destination par l’un des contractants ou ici, son successeur. Dans un cas dit de « force majeure », ici ce que le juriste appelle « le fait du prince » autrement dit une décision administrative d’interdire le naturisme jusque-là autorisé, le processus serait différent.
Le jugement lyonnais
« Attendu que les conventions susvisées ne comportaient ni limitation dans le temps ni le montant de la redevance mise la charge du locataire ;
Que si ces 'conventions bungalows' passées entre le SCI …, le CGR qui était membre de la Fédération française de naturisme d'une part et les intimés d'autre part, ne stipulait pas expressément qu'il s'agissait d'un camp naturiste, il est établi par les pièces produites que le camp géré par … à l'époque où (la SCI) en était encore propriétaire (dès 1973) et jusqu'au 31 décembre 2004 était un camp de naturistes et que les conventions ont été signées par toutes les parties en connaissance de cause ;
Que dans ses conclusions de première instance et d'appel la SARL… reconnaît que l'activité du camping était 'essentiellement naturiste' et 'que dans le cadre d'une saine politique de gestion...elle avait effectué des travaux...et décidé d'abandonner l'idée pour le futur de l'exploitation du site exclusivement à vocation naturiste ;
Que par la suite elle a adressé aux locataires un courrier non daté dans lequel elle exposait que pour l'année 2005 l'établissement était transformé en camping textile ;
Que le 24 avril 2004, Mme … porteur de parts de la SCI …. écrivait d'ailleurs aux locataires pour les aviser de la vente de la propriété du site à la SARL … en précisant : 'cette société ne change rien sur le statut de naturiste du camping' ;
Que la SARL … ne saurait donc contester devant la cour, la vocation naturiste de cette structure pendant trente années ;
Qu'ainsi le premier juge a considéré à juste titre que la modification unilatérale de la destination du camp qui était un élément substantiel du contrat et la dénonciation consécutive des conventions par … constituait une rupture abusive des relations contractuelles de la part de cette société ; »