CONTRIBUTION A L’ACTUALITÉ VESTIMENTAIRE ESTIVALE 2016
NATURISME ET TENUE DE PLAGE INTÉGRALE
Une altercation qui aurait pu très mal tourner dans un village Corse a, comme nous le savons tous, suscité un débat autour d’une tenue de bain pour femmes, la signification religieuse de celle-ci, et la validité de son interdiction par les maires. Le conseil d’Etat a même été amené à trancher.
L’on pourrait dire de prime abord que le naturisme n’a rien à voir avec cette question, dont elle est autant éloignée que les femmes, car c’est d’elles dont il s’agit, portant cette tenue de bain appelée burkini, ou même une robe jusqu’aux pieds, ce qui revient au même.
Or, et la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé notamment dans le cas du randonneur nu Stephen Gough, le droit de s’habiller ou non relève du même article de la convention du même nom : l’article 10, traitant de la liberté d’expression dont nous rappelons ci-dessous les termes :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y voir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
- L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Il ne s’agit pas ici de revenir sur le déroulement médiatique des événements ce qui risquerait de saturer les lecteurs, mais de rappeler les textes qui régissent les arrêtés municipaux, le référé-liberté.
En premier lieu, de quel texte les maires tirent-ils leurs pouvoirs d’édicter des textes (arrêtés) sur les plages ? Nous savons que celles-ci, en vertu de l’article L2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, appartiennent à l’État :
"Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend :
1º Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer.
Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ;
2º Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ;
… »
Or les maires sont titulaires de « pouvoirs de police » en vertu des articles L 2211-1 et L2212-1 du Code général des collectivités territoriales :
« Article L2211-1
Le maire concourt par son pouvoir de police à l'exercice des missions de sécurité publique
Article L2212-1
Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l’État qui y sont relatifs. »
Ils devraient donc voir leurs pouvoirs de police s’arrêter en bord de plage qui est la propriété de l’état et ne fait donc plus partie de la commune. L’on imagine bien entendu les problèmes pratiques causés si ce principe était appliqué. Mais l’article L2212-3 du même code précise que :
« La police municipale des communes riveraines de la mer s'exerce sur le rivage de la mer jusqu'à la limite des eaux. »
Le maire peut donc exercer ses pouvoirs de police sur les plages et donc prendre des arrêtés réglementant l’accès à la plage.
Ensuite quelles étaient ou sont les sanctions encourues en matière de non-respect d’un arrêté municipal (ici le port du burkini malgré l’arrêté) ? La réponse est dans l’article R610-5 du Code pénal :
« La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe. ».
Or la peine maximale pour une contravention de 1ère classe est une amende de 38 euros !!!
Nous ne connaissons pas les peines édictées par les arrêtés mais elles ne pouvaient pas dépasser ce montant.
Jugeant qu’il y avait atteinte à une liberté fondamentale, la Ligue des droits de l’Homme et le (très sulfureux) CCIF (collectif contre l’islamophobie en France) intentent une procédure d’urgence devant le juge administratif, usuellement appelée « référé-liberté », prévue par l’article 521-2 du Code de justice administrative :
« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heure ».
Les juges ayant refusé de suspendre les arrêtés, l’un de ceux-ci a été examiné par le Conseil d’état qui a procédé à la suspension en rappelant que :
« . Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 4 du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. »
L’arrêté municipal est donc suspendu.
Mais l’emploi d’un terme soulève question : le terme « décence ». Le maire peut réglementer la décence sur la plage. La pratique naturiste serait-elle concernée par ce vocable. Deux analyses sont possibles :
- Le naturisme et la nudité en général sont effectivement concernés et les maires conservent leur pouvoir de le réglementer ou l’interdire,
- Le terme décence ne vise qu’à prévenir les comportements ouvertement sexuels.
Le débat reste bien entendu ouvert…