Nudité et droit au Canada
Une jurisprudence
(Paru dans le numéro 17 de Naturisme Magazine)
Il n’y a pas qu’en France que des actions en justice s’appuyant sur le dispositif juridique concernant la nudité et le naturisme sont intentées.
C’est pour cela que de temps à autres, dans le cadre de la présente rubrique et à l’occasion de décisions de justice traitant du sujet, nous nous intéresserons à ce qui se passe « à l’extérieur » et nous poserons la question de savoir si une telle solution serait transposable en droit français.
Un tribunal de l’Ontario devait statuer sur la culpabilité d’un prévenu qui d’une part se serait présenté nu dans deux« drive through », de « fast-food » (équivalent du « Mac drive » chez Mc Donald’s), se serait promené nu dans un parc, ainsi que dans une propriété privée.
Il a été jugé non coupable concernant la propriété privée, un lieu naturiste lui appartenant, et coupable pour le reste.
Concernant les « drive through », il contestait son état de nudité, arguant qu’il portait une serviette, mais les employés ont attesté du contraire.
1) Droit canadien et décision de justice
a) Texte légal canadien
Il nous faut voir maintenant quel est le texte légal canadien. Il s’agit de l’article 174 du Code criminel :
« (1) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, sans excuse légitime, selon le cas :
a) est nu dans un endroit public;
b) est nu et exposé à la vue du public sur une propriété privée, que la propriété soit la sienne ou non.
(2) Est nu, pour l’application du présent article, quiconque est vêtu de façon à offenser la décence ou l’ordre public.
(3) Il ne peut être engagé de poursuites pour une infraction visée au présent article sans le consentement du procureur général. »
Il est frappant de constater que contrairement à l’ambiguïté qui prime l’article du code pénal français qui « reste dans le vague », où il est simplement question « d’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui… », cet article vise explicitement la nudité.
A noter que la nudité partielle peut être répréhensible
Le comportement sexuel est quant à lui, visé dans l’article 173 :
« (1) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque volontairement commet une action indécente :
a) soit dans un endroit public en présence d’une ou de plusieurs personnes;
b) soit dans un endroit quelconque avec l’intention d’ainsi insulter ou offenser quelqu’un.
(2) Toute personne qui, en quelque lieu que ce soit, à des fins d’ordre sexuel, exhibe ses organes génitaux devant un enfant âgé de moins de seize ans est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. »
Le (1) de cet article concerne les comportements ouvertement sexuels. Il est à noter que la nudité est absolument déconnectée de l’infraction. Il peut y avoir donc « action indécente » indépendamment de toute nudité, ce qui nous semble relever de la logique, au moins concernant cet article. Le (2) de l’article concerne l’exhibitionnisme vis-à-vis des mineurs.
La loi canadienne a donc un avantage et un inconvénient : elle fait la différence entre nudité et comportements sexuels, mais elle réprime la nudité.
b) Solution du Tribunal de l’Ontario
L’argumentation déposée par l’avocat de la défense était double et semblait quelque peu contradictoire. En effet il était argué :
- qu’il n’y avait pas nudité
- que la nudité est un droit, en tant que manifestation de la liberté d’expression. Il est d’ailleurs repris l’exemple des « cyclonues ». « C’est mon droit de protester » (« It is my right to protest ») a-t’il dit.
L’absence de nudité a été contredite par les témoignages des employés.
Concernant la nudité publique, la motivation du juge est double :
- “requiring people to wear some modicum of clothing when in public is a reasonable limit “, ce qui signifie que le fait de demander aux personnes un minimum d’habillement en public est une limite raisonnable.
- La deuxième motivation est intéressante : le prévenu "expressed only his own wish to be publicly naked and didn’t demonstrate anything important about nudism". Il n'exprimait que son souhait propre d'être nu en public et ne démontrait rien d'important à propos du nudisme. Ce raisonnement est intéressant, car en en tirant les conséquences, cela pourrait entraîner que si l'on démontre qu'il y avait une motivation au-delà de sa propre nudité en public, on ne tombe plus sous le coup de la loi. Toutes les nudités à caractère « revendicatif » entre autres lesdites cyclonues ne tombent plus sous l’article 174.
Le Juge nous semble ici déroger à celui-ci, mais la solution marque un progrès quand même. Certains naturistes qui ont suivi le procès se sont au demeurant réjouis.
Le prévenu a été condamné à deux ans de mise à l’épreuve, et 3000 dollars canadiens d’amende.
2) Quelle solution en droit français ?
a) Législation française
Rappelons que le désormais connu article 222-32 réprime « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public ».
La jurisprudence a le plus souvent adopté une solution maximaliste en rattachant la nudité non sexuelle à cet article, même, et c’est là qu’est démontrée l’anachronisme, voire l’absurdité de la solution, sans le vouloir. Toutefois, rappelons que certaines cours ont prononcé des relaxes (Rennes et Nîmes notamment), ouvrant des brèches pouvant aboutir à une solution plus logique et plus en phase avec son époque.
La notion de lieu est la même mais formulée différemment : soit un lieu public, soit un lieu où on peut être vu du public.
Les mêmes faits s’étant produits en France auraient-ils été punis de la même façon ?
b) Les mêmes faits et arguments en France
Concernant :
- la nudité dans un fast food en voiture, il existe une jurisprudence sur la question, toutefois une procédure « accélérée », mais la solution aurait probablement été la même
- la nudité dans un parc public aurait de même probablement été « sanctionnée » (voir la motivation de la Cour d’appel de Pau dans le dernier numéro)
- la nudité dans un lieu naturiste privé n’aurait comme au Canada, pas été sanctionnée, ni même poursuivie.
Abordons maintenant l’argument selon lequel la répression de la nudité ne constituait pas une « limite raisonnable » en droit canadien.
L’équivalent de la nécessité de la limite raisonnable, est, chez nous, le principe de proportionnalité qui signifie que quand on pose une limitation à l’exercice d’une liberté, celle-ci doit être selon la cour européenne des droits de l’homme :
- pour un besoin impérieux, donc pas pour une broutille
- Et proportionnée au but recherché.
C’est à notre avis un argument plutôt conséquent.
Enfin, concernant la peine prononcée, elle est bien plus lourde au Canada qu’elle ne l’aurait été en France où dans la presque totalité des cas, la peine se limite à quelques centaines d’euros d’amende.
- concernant la motivation de revendication, celle-ci se heurterait à un principe fondamental du droit pénal français : « Peu importent les mobiles »
Que retenir de ce qui précède ? Avant tout, à notre avis, qu’il ne faut pas se fier aux apparences :
- certes la nudité non sexuelle est explicitement réprimée, alors qu’en France, la formule est floue.
- mais dans les faits, la nudité revendicative, et notamment les « cyclonues » sont, dans la jurisprudence et dans les faits, pas réprimées, ce qui n’est pas vraiment le cas chez nous.
Le condamné fera probablement appel.