Le droit à la nudité en tous lieux non reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme pour Stephen Gough

(Paru dans le numéro 33 de Naturisme-Magazine)

 

Stephen Gough est un ressortissant britannique. Il est le porte-drapeau de la cause de la « nudité en tous lieux ». Son opiniâtreté ainsi qu’un charisme certain ont porté ont conféré à ce combat un caractère allant au-delà de l’anecdotique.

Surnommé « the naked rambler », en français « le randonneur nu », il entreprend en 2003 la traversée de la Grande-Bretagne depuis Land’s End, en Angleterre, à John O’Groats, en Écosse.

Il est arrêté à de multiples reprises en Ecosse entre 2003 et 2012, les condamnations symboliques pour les premières fois s’aggravant au fur et à mesure jusqu’à atteindre quelques fois la peine maximale d’un an d’emprisonnement.

Ceci s’expliquait le plus souvent par le fait qu’il était à nouveau en état d’arrestation à chaque libération, du fait qu’il retirait ses vêtements la porte de la prison d’Edimbourg à peine refermée. Entre mai 2006 et octobre 2012, il n’a bénéficié que de sept jours de liberté.

Il introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le 29 juillet 2011.

Son argumentation repose sur :

-       La violation de l’article 10 de la convention sur la liberté d’expression

-       La violation de l’article 8 concernant le droit à la vie privée et familiale

1) Concernant la violation de l’article 10

Rappelons d’abord les principales dispositions de cet article :

« Toute personne a droit à la liberté d\'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière…

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à ll'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d\'informations confidentielles ou pour garantir l\'autorité et l'iimpartialité du pouvoir judiciaire. »

Malgré la décision négative au final, la Cour soulève quelques points intéressants qui pourraient être utilisés à l’avenir :

-       En premier lieu elle confirme le principe que la liberté d’expression peut s’exercer de manière non verbale

-       Ce qui l’amène à déduire qu’en étant nu en permanence Stephen Gough exerce une liberté d’expression régie par l’article 10.

-       Les mesures répressives constituent donc une ingérence dans l’exercice de cette liberté.

Il reste à établir si cette ingérence est légitime au regard du deuxième alinéa de cet article :

-       La Cour note, entre autres que, concernant le point de savoir si cette ingérence est nécessaire dans une société démocratique,  les mesures répressives sont individuelles et « ne résultent pas d’une interdiction générale de la nudité en public ». L’emploi de ce terme n’est pas inintéressant car il signifie qu’une telle interdiction générale pourrait être déclarée non conforme à la Convention par la CEDH.

-       Sur ce même point, elle note également que des mesures légères ont été prises au départ (blâme ou courte peine privative de liberté). C’est après plusieurs condamnations que les peines ont été crescendo.

Elle conclut en pointant l’attitude de Stephen Gough notamment : le fait de demander la tolérance des autres citoyens tout en faisant preuve d’intransigeance totale. Ainsi elle note qu’ « il insistait sur son droit de se montrer nu à tout moment et en tout lieu, y compris dans les tribunaux, les aires communes des prisons et des aéroports, sans aucun égard pour les opinions des autres personnes ou le fait qu’elles risquaient d’être choquées par sa conduite. ». C’est donc ladite intransigeance et les atteintes répétés au droit pénal qui sont sanctionnées par la Cour.

 

2) Concertant la violation de l’article 8

L’article 8 de la convention prévoit le respect de la vie privée et familiale et les mêmes types de restriction au principe en son deuxième alinéa qu’en celui de l’article 10.

Le problème de base est qu’ici le rattachement à cet article de la situation de Stephen Gough est plus difficile, beaucoup plus que le rattachement à la protection de la liberté d’expression de l’article 10, lequel est à mon sens évident.

Curieusement, la Cour utilise la formule « si l’article 8 trouve à s’appliquer », et reprend l’argumentation développée au visa de l’article 10.

 

3) Quels sont les contours du droit de la nudité tel qu’il ressort de cet arrêt ?

Une chose apparaît certaine : il n’y a pas d’interdiction générale de la nudité en public, la Cour ayant observé que les incarcérations successives ne résultaient pas d’une telle interdiction.

Une autre point est également certain : il n’y a pas de droit absolu à la nudité en tous lieux et en public.

Sont pris en compte notamment deux éléments :

-       La nécessité de prise en compte de personnes alentour, de leur opinion et de leur ressenti

-       La nécessité de prise en compte du lieu : ce doit être ni des lieux tels que les prisons, les aéroports ou tribunaux, bref des lieux très fréquentés et à haute densité de foule, en quelque sorte.

Or les randonues tels que pratiquées par des membres d’associations, telles que des adhérents de l’APNEL, des Randonneurs nus de Provence, ou de  l’Association des randonneurs naturistes de Bretagne, remplissant ces critères s’ils étaient condamnés, il serait probable que ces condamnations ne trouveraient pas grâce aux yeux de la CEDH. Elles se déroulent dans des lieux peu fréquentés, avec un habit prêt à être enfilé si des promeneurs sont croisés.

Le débat reste ouvert et pour cette chronique, il est laissé la parole à des personnalités du monde naturiste d’un avis différent du mien. Pour cet article, je remercie Jacques Freeman, vice-président chargé de la communication de l’APNEL d’avoir accepté d’exprimer son opinion ici.

 

" Pour avoir rencontré et débattu avec Stephen Gough au parloir de la prison de Perth en juillet 2009 ; pour avoir, également, correspondu avec lui pendant des années, nous pouvons affirmer qu"il n'est pas réellement le "porte-drapeau de la nudité en tout lieu, comme c'est parfois écrit.

Son combat est ailleurs. C'est celui de la LIBERTE, celle que chaque citoyen est en droit d'attendre d'une société qui lui impose des contraintes pour assurer le bien vivre ensemble. Certaines sont parfaitement acceptées et justifiées, mais d'autres totalement iniques, fondées sur la domination des uns, l\intolérance et les préjugés des autres.

D'ailleurs, Steve s'est toujours démarqué du mouvement naturiste. La nudité n'est, pour lui, qu'un outil qui lui permet accessoirement de faire la démonstration que l'homme est beaucoup moins libre qu'il ne se l'imagine.

Car, somme toute, en Grande-Bretagne, l'originalité est assez consensuelle. Ainsi, c'est le pays "champion" de la nudité urbaine avec les cyclonues festives et militantes, organisées dans chaque ville anglaise. C'est aussi un pays sans législation strictement "anti-nudité".

Mais, ce qu'on lui reproche, en réalité, c'est son comportement rebelle, prétendument qualifié "d'antisocial". La justice britannique, pour éviter cette impasse kafkaïenne, lui a pourtant proposée de petits arrangements. Mais notre courageux ami refuse depuis près de 10 ans toute compromission. Il reste et restera inflexible !

Aussi, l'APNEL (Association pour la Promotion du Naturisme En Liberté) trouve regrettable que la Cour Européenne des Droits de l’Homme ait pris une décision qui peut apparaître comme "corporatiste et puritaine", manquant ainsi à sa vocation humaniste, progressiste et universaliste.

                                                                                  Jacques FREEMAN"