NOUVELLE RELAXE DANS UN PROCÉS POUR NUDITÉ : VERS UNE DÉCRISPATION DES JURIDICTIONS ?

 

 

Les faits se déroulent en Franche-Comté, à Audincourt, près de Montbéliard. Une dame a porté plainte, arguant de nuisances provoquées par l’un de ses voisins qui s’est selon elle, exposé nu sur son balcon, et ce à plusieurs reprises. Il assortirait, qui plus est cette nudité d’injures sous forme d’incitations ironiques à admirer son anatomie.

Le 17 juin 2013, elle porte plainte. Cette plainte n’a dû captiver, ni les policiers ni le parquet, car notre homme a été entendu en février 2015, soit plus d’un an et demi après le dépôt de la plainte !! Il est vrai qu’il n’a pas répondu aux différentes convocations. On est donc venu le chercher. Il était au demeurant ivre.

Il explique alors qu’il n’était pas nu, mais portait un short jaune et que son balcon était à 150 mètres du domicile de la plaignante.

Mais en même temps il reconnait déambuler chez lui et sur son balcon dans son costume de naissance. « Je suis chez moi, je fais ce que je veux » dit-il lors de son procès-verbal d’audition.

Finalement il est convoqué devant le Tribunal correctionnel… où il ne se présente pas.

La plaignante elle était présente. Elle ne sollicite pas de dommages-intérêts, et demande juste que les « nuisances » cessent.

Elle argue également que d’autres voisins sont en quelque sorte « victimes » des mêmes « nuisances ». Ceux-ci en tout cas n’ont pas porté plainte. Ils ont fait « avec » !!

Et là, ce qui apparaît surprenant, mais qui peut survenir de temps en temps, le Procureur de la République, dans son réquisitoire, dit n’avoir aucun doute sur la sincérité des dires de la plaignante mais demande la relaxe, estimant « qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments dans le dossier pour asseoir la culpabilité de l’intéressé. »

Le Tribunal, a suivi et relaxé le prévenu.

 

Il convient tout d’abord de rappeler que les poursuites en matière de nudité sur la base de l’article 222-32 du Code pénal :

« L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Cet article a fait l’objet de controverse dans le milieu du naturisme, car le caractère vague de sa rédaction a entraîné pendant longtemps une interprétation « maximaliste » de la part des juridictions pénales et des condamnations, certes la plupart du temps modérées, mais des condamnations malgré tout.

C’est ainsi que l’APNEL, (association pour la promotion du naturisme en liberté) milite pour une refonte complète de cet article, ainsi de l’ensemble du droit applicable en matière de nudité.

L’état du droit semblait figé. Puis des décisions ont commencé à être rendues par certaines juridictions correctionnelles, en premier instance ou en appel, qui sans revêtir un caractère « révolutionnaire » étaient significatives d’une interprétation quelque peu plus restrictive de l’article 222-32.

Ces décisions de justice prenaient notamment en compte l’absence d’élément intentionnel au titre de l’article 121-3 du Code pénal 1er alinéa :

« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

C’est ainsi que :

  • par arrêt en date du 15 novembre 2010, la Cour d’appel de Rennes a relevé que, s’agissant d’un prévenu ayant plusieurs fois remonté sa serviette sur le bord d’une piscine : « … s'il est établi que le prévenu a soulevé plusieurs fois sa serviette, un doute subsiste sur sa volonté d'imposer à la vue d'autrui les parties intimes qui ont été ainsi découvertes; qu'en effet, l'explication selon laquelle sa serviette aurait été mouillée par l'eau de la piscine, précision que ni la partie civile, ni le témoin contacté au téléphone par les enquêteurs n'ont contredite, et qu'il aurait ensuite maladroitement remontée ne peut être écartée en l'état des éléments du dossier; qu'il y a lieu d'observer l'absence de gestes obscènes ou évocateurs d'une volonté de choquer délibérément, étant précisé que l'enquête n'a pas mis en évidence l'existence de précédents incidents de cette nature que le prévenu aurait provoqués; »
  • et par arrêt en date du 26 mai 2011, la Cour d’appel de Nîmes, a relevé que, s’agissant d’un prévenu ayant fait l’objet d’un contrôle routier alors qu’il était nu dans sa voiture « Lors du contrôle routier du prévenu à 23h35, les policiers ont constaté qu'il était complètement nu dans son véhicule. Cependant, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les éléments matériel et moral de l'infraction d'exhibition sexuelle étaient caractérisés. En effet, non seulement le prévenu regagnait son domicile à une heure tardive sur une route peu fréquentée mais il démontre qu'il a des problèmes de métabolisme le poussant à se déshabiller car il a chaud en permanence. Les circonstances de commission des faits ne démontrent donc aucune volonté délibérée de froisser la pudeur publique, ni aucune conscience d'imposer sa nudité au public, le contrôle inopiné dont il a fait l'objet n'étant pas prévisible. ».

Il s’agissait plus d’une évolution lente que d’une révolution, mais auparavant le seul fait d’être nu et d’être susceptible d’être vu suffisait à entraîner la condamnation.

 

Une étape a été franchie avec un jugement du Tribunal correctionnel de Périgueux qui a relaxé un randonneur naturiste soutenu par l’APNEL en s’appuyant notamment sur l’absence d’élément intentionnel.

 

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de la relaxe prononcée par le Tribunal correctionnel de Montbéliard ? Essentiellement trois :

  • le prévenu lors de son audition, a précisé avoir porté un short jaune. Aucun élément ne semble le contredire, excepté lui-même, ayant admis en même temps déambuler nu chez lui et sur son balcon. Les faits semblent donc reconnus. De plus les injures et les provocations salaces à « regarder » les parties génitales auraient pu, si elles avaient été établies, pour certaines juridictions, caractériser l’infraction d’exhibition sexuelle. Simplement, elles ne l’étaient pas. Mais s’il y avait eu vidéo ou enregistrement, comme c’est le cas de plus en plus souvent, par « smartphone », la solution aurait-elle été la même. C’est une question qu’il convient de se poser.
  • Il a tout fait pour mettre les juridictions « contre lui » : il ne s’est rendu ni aux convocations de la gendarmerie, ni à l’audience correctionnelle. Il a donc couru un « risque judiciaire ». Disons-le : il FAUT se rendre aux convocations, ne serait-ce que pour donner sa version et s’expliquer. Dans ces conditions, nous nous devons de saluer le représentant du ministère public et le magistrat ayant prononcé la relaxe. Ils ont gardé la « tête froide » et n’ont jugé que sur les éléments ou l’absence d’éléments du dossier en faisant abstraction de toute susceptibilité. Cela n’arrive pas si souvent !!!
  • Encore une fois, le parquet poursuit, puis demande la relaxe à l’audience. C’était déjà le cas pour le randonneur naturiste au Tribunal correctionnel de Périgueux où il avait été proposé de plus une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. On comprend que ce ne sont pas les mêmes personnes qui ont décidé des poursuites et été à l’audience. Il n’empêche qu’un peu de cohérence ne pourrait être que bénéfique.

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