PREMIÈRE RELAXE D’UN RANDONNEUR NATURISTE

(Paru dans Naturisme Magazine n° 26)

 

Par jugement en date du 11 septembre 2013, le Tribunal correctionnel de Périgueux vient de contribuer au franchissement d’une étape quant à l’interprétation de l’article 222-32 du Code pénal, à l’appui duquel les poursuites sont engagées en cas de nudité hors lieux spécifiquement dédiés à la pratique du naturisme.

Rappelons tout d’abord le texte de cet article :

« L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.

La difficulté tient au caractère vague et généraliste de la notion d’exhibition sexuelle. S’agit-il d’un comportement ouvertement à caractère sexuel à la vue d’autrui, ou le fait de ne pas cacher les parties « sexuelles ».

La jurisprudence largement dominante depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er janvier 1994, penchait pour la constitution de l’infraction à partir du moment où la personne dénudée ne se trouvait pas dans un lieu naturiste.

Même si certaines évolutions ont pu être constatées, notamment concernant l’élément intentionnel (nous reviendrons sur ce point plus loin), aucune décision de relaxe n’était intervenue concernant un randonneur naturiste (ou adepte de la randonue).

La plupart du temps, il était proposé une mesure d’alternative aux poursuites pénales, soit :

-          Une mesure dite de « médiation pénale », la plupart du temps un rappel à la loi.

-          Une mesure de composition pénale, autrement dit une sanction autre que l’emprisonnement (ferme ou assorti du sursis).

Les mesures qui précèdent présentent la particularité de n’être pas inscrites au bulletin numéro 2 du casier judiciaire, ce qui peut les rendre tentante.

-          Une mesure de comparaison sur reconnaissance préalable de culpabilité, dit « plaider coupable à la française » : la personne poursuivie reconnait sa culpabilité, le Procureur de la république lui propose une peine, qu’il peut accepter, refuser. Il peut également demander un délai de réflexion de dix jours. S’il accepte la peine, celle-ci doit ensuite être homologuée par un Juge au cours d’une audience publique. Elle a tous les effets d’une décision judiciaire (dont l’inscription au bulletin numéro 2, sauf décision spéciale du juge).

 

Monsieur A. B. se promène dans une forêt de Dordogne en tenue naturiste.  Il croise une promeneuse qui le signale à la gendarmerie en fournissant le numéro de la plaque d’immatriculation de sa voiture.

Poursuivi, A. B. se voit proposer une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Soutenu par l’APNEL (Association pour la promotion du naturisme en liberté) et sur le conseil de son avocat, il refuse cette mesure, ce qui entraîne sa convocation à une audience pour un procès correctionnel « classique » devant le Tribunal correctionnel de Périgueux.

Sa défense s’appuyait sur deux arguments :

-          En premier lieu caractère trop vague de la rédaction de cet article, argument que nous approuvons totalement et qui avait été soulevé dans la chronique juridique du numéro 22 de Naturisme Magazine. En effet, en réaction à l’abrogation par le Conseil constitutionnel de l’article 222-33 du Code pénal sur le harcèlement sexuel pour cette raison, en s’appuyant sur le principe de légalité tel qu’il est défini dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il nous avait paru que l’article 222-32 était encore plus imprécis que l’article 222-33 abrogé, en ce que la notion d’exhibition sexuelle était trop vague, et recouvrant plusieurs situations n’ayant rien à voir entre elles. Quoi de commun entre quelqu’un se livrant à des activités sexuelles en pleine voie publique et un randonneur naturiste ? Une question prioritaire de constitutionnalité a donc été déposée devant la juridiction aux fins d’envoi à la Cour de cassation afin que celle-ci la renvoie devant le Conseil constitutionnel sur la base notamment de cet argument, afin qu’il soit statué sur la constitutionnalité de l’article 222-32

-          L’absence d’élément intentionnel. Ce principe est édicté dans l’article 121-3 alinéa 1 du code pénal (« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre »). En effet, dans la mesure où la randonnée naturiste s’effectue dans des chemins peu fréquentés, avec par exemple une pièce de vêtements à portée de main en cas de croisement d’autres promeneurs, l’intention de commettre l’infraction n’est absolument pas avérée. Nous sommes d’ailleurs également totalement d’accord avec cette argumentation pour laquelle nous militions également.

Or, concernant l’article 222-32, la jurisprudence avait déjà évolué. Il y a quelques années, les juridictions considéraient que le simple fait d’avoir conscience de pouvoir croiser des personnes non averties, la notion de conscience étant beaucoup plus large que celle d’intention, suffisait à caractériser l’élément intentionnel, ce qui rendait celui-ci quasiment automatique, ce qui était en contradiction avec l’article 121-3 cité plus haut. Une analyse plus conforme de l’élément intentionnel avait été effectuée notamment par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 15 novembre 2010, puis par la Cour d’appel de Nîmes dans un arrêt du 26 mai 2011, relaxant dans les deux cas le prévenu pour défaut d’élément intentionnel.

La question prioritaire de constitutionnalité a été rejetée, et n’a pas été transmise à la Cour de cassation, ce qui rend perplexe et le mot est faible. En se référant à la décision du Conseil constitutionnel sur l’article 222-33, abrogeant immédiatement celui-ci, comme contraire au principe de légalité du fait de sa rédaction trop vague, il apparaît difficile de ne pas voir l’article 222-32 subissant le même sort.

Ainsi donc, tant que la rédaction de celui-ci n’aura pas été revue et précisée, nous nous trouverons en face de situations totalement dissemblables, d’auteurs aux comportements réellement exhibitionnistes cohabitant avec des personnes ne se cachant pas, et dont le seul point commun est de tomber (provisoirement espérons-le) sous le même texte de loi.

Concernant le fond, la relaxe a été prononcée pour défaut d’élément intentionnel. Le juge a probablement pris en compte parmi d’autres éléments le caractère peu fréquenté du lieu de la randonnée naturiste.

Au final, la solution apparait satisfaisante et une étape a été franchie.

La porte commence à s’ouvrir pour que ne puissent plus être poursuivis les randonneurs qui pourront établir qu’ils avaient pris suffisamment de précautions pour que la probabilité d’être vus ne soit pas trop élevée, par le choix, au risque de se répéter, d’un lieu peu fréquenté, et avec dans un sac une pièce de vêtement ou de tissu en cas de croisement d’autres promeneurs.

Autre point important, également soulevé par Maître Eolas dans son blog : lors du procès, le Ministère public avait aussi requis la relaxe. Le même Ministère public qui avait proposé une procédure de « plaider coupable » (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) !!!

Comme quoi, en cas de proposition d’une telle procédure, il convient, préalablement à toute décision, de se livrer à une analyse du cas, et à une évaluation des chances réelles de relaxe !!