COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANCAISES

DANS LES CONFLITS AVEC UN FOURNISSEUR DE RESEAU SOCIAL

ARRÊT FACEBOOK

 

Les échanges entre adeptes d’une pratique de toute nature qu’elle soit se déroulent de plus en plus souvent dans les réseaux sociaux, et particulièrement facebook.

Le naturisme ne semble pas échapper à ce phénomène.

Nombre de groupes et de pages sont apparus à propos de naturisme. Mais qui dit réseau social américain, et ici californien impliquait que les membres se soumettaient à un contrat de droit californien.

En tant qu’utilisateurs facebook, nous sommes donc censés nous soumettre au code moral « local » notamment en matière d’images de corps et de nudité, code moral dont il est difficile de dire qu’il est d’un libéralisme échevelé.

Un utilisateur dont nous ne savons pas s’il est naturiste ou non, est allé encore plus loin : il a carrément posté une image du tableau « L’origine du monde » de Gustave Courbet. La réaction ne s’est pas fait attendre : son compte a été désactivé.

Il a alors assigné Facebook Inc,  devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Celle-ci a alors soulevé l'incompétence de la juridiction française en arguant que, lors de l'ouverture du compte, l’utilisateur a accepté les conditions générales dont l’article 15 attribuant compétence aux juridictions du comté de Santa Clara, en Californie

Une clause attributive de compétence est une clause dans un contrat désignant une juridiction d’un certain lieu en cas de litige entre les contractants.

L’incompétence a été soulevée par Facebook Inc, lors de  la « mise en état », c’est-à-dire la phase procédurale du procès où le fond n’est pas encore abordé. Un juge dit « juge de la mise en état » est spécialement chargé de cette phase.

Celui-ci dans le litige concerné a rendu une ordonnance confirmant la compétence de la juridiction saisie.

Facebook Inc fait appel, ce qui donne lieu à l’arrêt du 12 février 2016, confirmant la décision.

La Cour a eu à trancher deux points de droit :

  • Le contrat liant l’utilisateur à Facebook est-il un contrat de consommation liant un client et un fournisseur ? Facebook Inc estimait que non, en raison du caractère gratuit du service d’une part, en raison du fait qu’au regard de la loi du lieu d’attribution de la juridiction, ce n’en est pas un d’autre part.
  • Ce point tranché, la clause attributive de juridiction de l’article 15 est-elle une clause abusive ?

 

1) Le contrat liant à un réseau social est-il un contrat de consommation ?

Il est à noter que le contrat n’est pas un contrat de consommation si le client l’utilise à titre professionnel.

Le droit applicable en la matière est de source européenne. Il s’agit des articles 15 et 16 du règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 qui définit les juridictions applicables en cas de contrat de consommation. Il s’agit des juridictions du lieu de domicile du consommateur.

La cour relève qu’en l’espèce, et concernant le demandeur, son profil Facebook fait état de son appartenance à l'éducation nationale ; que s'il fait état de ses compétences de photographe, vidéaste et de marin, et donc qu’il n'apparaît pas qu'il se soit servi de son compte pour développer une quelconque activité professionnelle. Il lui est principalement reproché ainsi qu'en témoignent les pages qui lui sont consacrées sur Google d’avoir publié sur son mur une photo de l’origine du monde.

Elle en déduit qu’il s’agit d’un contrat de consommation, donc soumis à la législation sur les clauses abusives.

 

2) La clause attributive de compétence est-elle une clause abusive ?

Les clauses abusives sont définies dans l’article L132-1 du Code de la consommation dont nous reproduisons ci-dessous l’essentiel :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

… »

L’important est ici :

  • L’appréciation du déséquilibre entre le consommateur et le professionnel
  • Le caractère non écrit de ces clauses : autrement dit, « elles n’existent pas » et le professionnel ne peut pas en arguer dans les litiges avec les consommateurs.

L’autre article important est l’article R 132-2 du même code qui précise notamment que sont présumées abusives les clauses qui ont pour effet de :

« 10° Supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges. »

La Cour relève donc le caractère abusif de la clause visée en ce qu’elle « oblige le souscripteur, en cas de conflit avec la société, à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l'enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux ; que les difficultés pratiques et le coût d'accès aux juridictions californiennes sont de nature à dissuader le consommateur d'exercer toute action devant les juridictions concernant l'application du contrat et à le priver de tout recours à l'encontre de la société Facebook Inc ; qu'à l'inverse, cette dernière a une agence en France et dispose de ressources financières et humaines qui lui permettent d'assurer sans difficulté sa représentation et sa défense devant les juridictions françaises ; que dès lors, la clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes contenue dans le contrat a pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'elle a également pour effet de créer une entrave sérieuse pour un utilisateur français à l'exercice de son action en justice ; ».

Cela signifie que le coût d’une action en justice serait prohibitif pour le consommateur qui devrait prendre un avocat en Californie, mais non pour le fournisseur qui a une filiale dans chaque pays ou presque.

 

Cet arrêt est important, car il permet de saisir la juridiction du lieu de son domicile en lieu et place de la juridiction du lieu du siège social de la « maison-mère ».

Il est à noter que du côté de la doctrine, il ne fait pas l’unanimité, notamment en raison de divergences de conceptions en matière de contrat de consommation entre droit français et droit européen.

Enfin, il s’agit d’un arrêt en matière de mise en état. Le fond de l’affaire n’est pas encore abordé. Cette affaire mérite donc que nous continuions à la suivre avec une particulière attention