WORLD NAKED BIKE RIDE : QUAND LE JUGE ADMINISTRATIF S’IMMISCE DANS LA LOI PENALE

 

La word naked bike ride (WNBR), ou « cyclonue » consiste en une manifestation annuelle dans un nombre croissant de villes dans le monde, où les manifestants défilent nus et à bicyclette. Au début de ce mouvement, la nudité représentait l’état de vulnérabilité de ceux qui se déplacent par ce moyen face à la circulation automobile en milieu urbain.

Depuis lors, le message véhiculé est devenu plus global. Certes la revendication initiale est maintenant, mais s’est élargie à une demande tendant à l’acceptation du corps. C’est pourquoi la FFN et l’APNEL jouent un rôle important dans l’organisation des manifestations en France.

Seulement, nous trouvons ici une « exception française » surprenante. Alors que les WNBR ont lieu sans encombre non seulement en Europe, mais également sur le continent américain, dans des villes qui ne sont pas réputées pour être parmi les plus permissives en matière de mœurs (Mexico, Buenos Aires par exemple) notre pays s’arc-boute dans une conception que l’on peut qualifier de rétrograde en la matière, en les interdisant les unes après les autres depuis plusieurs années.

Ce fut le cas l’année dernière, en 2019. Le 7 juillet 2019, la FFN déclarent par courrier du 7 juillet 2019 à la préfecture de police de PARIS, cette manifestation prévue pour se dérouler le 8 septembre 2019 sur un parcours de 16,2 kilomètres entre le Bois de Vincennes, le parc de Bercy, la place de la Bastille et la place de la Nation, et de 14 heures à 18 heures.

Par arrêté en date du 7 septembre 2019, soit un jour avant la date de la manifestation, ce qui interdit en pratique toute voie de recours d’urgence, le préfet de police de Paris l’interdit sur le parcours déclaré.

La FFN et l’APNEL par leur avocate intentent un recours devant le tribunal administratif de PARIS, où est développée une argumentation dont nous ne pouvons que souligner le caractère complet et fouillé.

Rappelons au préalable que la déclaration de manifestation est réglementée par les articles L211-1 et suivants du code de la sécurité intérieure. Le premier alinéa de l’article L211-4 dispose que « Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. ». C’est sur le fondement de cet article que l’arrêté d’interdiction s’est basé.

 

L’arrêté d’interdiction de la manifestation s’appuyait sur le fait allégué que la nudité en public constituant le délit d’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public prévu et réprimé par l’article 222-32 du code pénal, il y avait trouble à l’ordre public..

Or cette affirmation appelle d’ores et déjà deux observations :

  • Elle n’est pas établie : ce n’est pas ce qu’il ressort de l’analyse de l’article 222-32 en lui-même, ainsi que de la jurisprudence pénale qui est en voie d’évolution actuellement,

 

  • La Préfecture de police opère une interprétation de la loi pénale alors que ce n’est pas son rôle.

 

Le recours comprenait une question prioritaire de constitutionnalité, c’est-à-dire une procédure tendant à faire transmettre au conseil constitutionnel, par l’intermédiaire soit du Conseil d’Etat, soit de la Cour de cassation, une question tenant au caractère inconstitutionnel d’un texte légal sur lequel s’appuie l’instance en cours, ici l’article 222-32 du code pénal.

Ce recours comprenait ensuite une série d’arguments tendant à l’annulation de l’arrêté litigieux qui recoupaient l’argumentation quant à la question prioritaire de constitutionnalité.

L’argumentation soutenue par la FFN et l’APNEL reposait essentiellement sur le fait que l’article 222-32 contrevenait à principes constitutionnels tels qu’ils sont contenus dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC), et de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), savoir :

  • Principe de nécessité des peines tel qu’édicté dans l’article 5 : La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société (…) » et l’article 8 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

 

  • Liberté de conscience d’opinion et d’expression (articles 10 et 11 de la DDHC) : article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi »

 

  • Liberté vestimentaire, se rattachant à la liberté d’expression, notamment à l’article 10 de la CEDH

 

  • Principe de proportionnalité des délits et des peines.

 

A chaque fois le tribunal administratif a répondu à cette argumentation par le même type de réponse. Par exemple :

« En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu protéger la société contre une impudicité qui se montre à la vue d’autrui

L’infraction d’exhibition sexuelle réprimée par l’article 222-32 du code pénal ne constitue qu’une atteinte limitée à la pratique collective du nudisme, dès lors qu’elle ne vise à interdire l’exhibition de tout ou partie de son corps à la vue du public que dans des lieux ouverts au public, ce délit ne pouvant être retenu pour des nudistes se rassemblant dans des lieux spécifiquement aménagés à cet effet ou dans des lieux publics non accessibles aux regards du public

Les dispositions contestées sanctionnent, par une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, le fait d’exhiber à la vue d’autrui tout ou partie de ses organes sexuels dans des lieux accessibles aux regards du public, qu’il y ait ou non intention sexuelle de son auteur. »

Le risque de trouble à l’ordre public est donc caractérisé et l’arrêté non entaché de nullité.

Plusieurs observations peuvent être formulées :

  • En premier lieu l’usage d’un terme daté et suranné : « impudicité ». Il s’agit d’un mot qui n’est à notre connaissance jamais utilisé dans des décisions de justice pénale. La définition du Larousse est : « Caractère de quelqu'un qui est impudique ; acte ou parole impudique ». Il s’agit donc d’une notion morale et certainement pas juridique, en tout cas non pénale,

 

  • Il s’agit d’une conception pour le moins maximaliste de l’infraction d’exhibition sexuelle selon laquelle l’infraction est constituée quel que soit le contexte de la nudité en-dehors d’un lieu expressément dédié au naturisme. Ce n’est pas le sens d’une partie de la jurisprudence (Périgueux, Montbéliard, Coutances…) qui progresse dans le sens d’une acceptation accrue,

 

  • Cette conception maximaliste enlève de faite toute nécessité d’élément intentionnel, en contradiction avec l’alinéa 1 de l’article 121-3 du code pénal : « Il n’est point de crime ou de délit sans l’intention de le commettre ».

 

Cette décision est d’autant plus surprenante que, comme précisé plus haut, des WNBR se déroulent sans encombre dans d’autres villes sans que cela ne soulève de problème, ce qui contredit le risque de trouble à l’ordre public.

Il s’agit d’un retour en arrière notamment par rapport au jugement du tribunal administratif d’AMIENS, concernant la plage de QUEND.

Qu’en pensera la Cour administrative d’appel de PARIS, qui sera (probablement) saisie ?

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