ANNULATION D’UN ARRÊTÉ MUNICIPAL DE RETRAIT

D’UNE AUTORISATION DU NATURISME SUR UNE PLAGE

 

Il a déjà été constaté que la jurisprudence en matière de naturisme accomplissait des progrès dans le sens de l’acceptation de la pratique.

Certes ces progrès ne sont pas linéaires. Ils fonctionnent plutôt par des mouvements alternatifs d’avancée puis de reculs, mais quand nous regardons l’évolution sur le long terme, nous nous apercevons qu’elle est plutôt favorable.

C’est le cas avec ce jugement du Tribunal administratif d’Amiens. Il concerne un arrêté municipal pris par la ville de Quend en date du 19 septembre 2018, interdisant la pratique du naturisme sur l’ensemble du territoire de la commune en se basant notamment sur l’article 222-32 du code pénal réprimant « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public ».

Après avoir, par la voie du « recours gracieux », demandé au Maire de retirer cet arrêté, ce qui a été refusé par celui-ci, plusieurs associations, savoir :

  • La fédération française de naturisme (FFN)
  • L’association des Hauts-de-France naturiste (AHFN)
  • L’association pour la promotion du naturisme en liberté (APNEL)

Ont introduit un recours en annulation devant le Tribunal administratif d’Amiens qui a annulé cet arrêté par jugement en date du 16 juillet 2019.

 

L’argumentation des demandeurs était très complète. Le tribunal a retenu, pour annuler l’arrêté litigieux, l’une d’entre elles en spécifiant, ce qui est plutôt courant « sans qu’il y ait besoin d’examiner les autres moyens ».

En réponse, tout d’abord, était soulevée l’absence d’intérêt à agir des associations requérantes. Cette absence a été écartée par le Tribunal. Nous reviendrons sur ce point dans une chronique ultérieure.

Un autre moyen d’irrecevabilité était soulevé, qui a été écarté.

 

Le motif d’annulation concernait l’étendue et les limites du pouvoir de la police municipale, tel qu’il est défini dans l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales :

« « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :

1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la c, ommodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ;

2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ;

… »

La question qui se pose est celle-ci : quelle est la limite des pouvoirs de la police municipale et les pouvoirs de police des maires.

 

La question avait déjà été soulevée dans le cadre des arrêtés d’interdiction du « burqini ».

Les motifs du jugement sont intéressants et susceptibles d’être invoqués dans toute autre affaire de ce type :

Le tribunal rappelle en premier lieu qu’ «  une mesure de police n'est légale que si elle est nécessaire au regard de la situation de fait existant à la date à laquelle elle a été prise. Ainsi, l'autorité de police ne saurait prendre que les mesures strictement nécessaires à la suppression du trouble causé à l'ordre public, à l'exclusion de toute mesure ayant un caractère d'une sanction ou pouvant se prolonger au-delà de la disparition de ce trouble. »

Il déduit de ce qui précède qu’une interdiction générale sur tout le territoire de la commune alors qu’un maire ne peut « légalement imposer une mesure d'interdiction générale, absolue et permanente sur l'ensemble du territoire de sa commune »

Il relève au passage que les pièces produites se bornent en une unique attestation établie par l’office du tourisme et faisant état de nombreux courriels relatant une « recrudescence d'actes heurtant la moralité et la tranquillité publiques de jeunes enfants » ce qui fait effectivement léger pour établir un trouble causé à l’ordre public.

Ceci d’autant qu’il peut être observé que l’un des courriels dont il est allégué par l’attestation est postérieur à l’arrêté municipal, ce qui signifie que les actes d’exhibitionnisme ont persisté après l’interdiction de la pratique du naturisme !!!

Ce qui signifie que l’arrêté était parfaitement inefficace !!!

 

Pour toutes ces raisons l’arrêté a été annulé.

 

Ce jugement, très bien motivé, est important, même s’il émane d’une juridiction du premier degré.

Il établit l’illégalité d’un arrêté d’interdiction générale sur tout un territoire communal, du naturisme. Qu’en est-il dans une commune où il n’y ni arrêté d’interdiction, ni d’autorisation partielle ? Il s’agit d’une piste à « creuser » juridiquement pour éventuellement demander à de telles communes un espace autorisé à cette pratique.

 

Cette jurisprudence est au demeurant, assez proche, en droit en tout cas, sinon en fait, d’un arrêt du Conseil d’état en matière d’interdiction de la tenue de plage intégrale à caractère religieux pour les femmes dont la motivation principale est :

« . Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 4 du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. »

 

Nous ne pouvons donc que nous réjouir de ce jugement et saluer la FFN, l’AHDFN, et l’APNEL et leur Conseil pour ce résultat important.